ISSN 1661-1802

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« Intelligence économique et réseaux »
Compte-rendu de la 2ème journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique
par Jacqueline Deschamps, François Courvoisier et Françoise Simonot


Le 16 juin 2005, s’est tenue à la Haute école de gestion Arc de Neuchâtel la deuxième journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique organisée en collaboration avec la Haute école de gestion de Genève et l’IUT de Besançon en Franche-Comté.

Bref historique de la manifestation

En Suisse, l’intelligence économique et la veille stratégique sont des domaines d’enseignement émergents. Rattachés généralement aux sciences de l’information et de la communication, ces domaines sont de nature interdisciplinaire et font autant appel aux concepts de la science de l’information qu’à la gestion d’entreprise et à la communication. Dans les organisations comme les entreprises et les administrations, l’intelligence économique et la veille stratégique sont discrètes pour ne pas dire « secrètes ». Par rapport à nos voisines françaises, les PME helvétiques commencent seulement à y être sensibilisées et à intégrer dans leur stratégie managériale une approche plus systématique et intégrée de la récolte et de la gestion de l’information.

En mars 2003, les Hautes écoles de gestion de Genève et de Neuchâtel, avec les professeurs Jacqueline Deschamps et François Courvoisier, en collaboration avec Alain Vaucher, de Centredoc à Neuchâtel, ont ouvert une nouvelle filière d’études postgrades HES en intelligence économique et veille stratégique, la première en Suisse romande. Rapidement, des contacts ont été établis avec Françoise Simonot, professeur responsable de la Licence veille à l’Institut universitaire de technologie de l’Université de Franche-Comté à Besançon. Par ailleurs, le docteur Pierre Achard, intervenant dans la Licence veille à Besançon est venu se joindre à notre collège de professeurs.

Il s’est rapidement avéré que les trois Hautes écoles ci-dessus avaient bien des points d’intérêts communs, des réflexions à partager tant sur le plan des thématiques que de la pédagogie, et c’est ainsi qu’a germé l’idée d’une rencontre franco-suisse. Notre intention était de montrer de manière concrète les défis, possibilités et attentes de l’intelligence économique et de la veille, grâce à des intervenants du métier, praticiens comme enseignants et chercheurs. La première journée franco-suisse a eu lieu le 17 juin 2004 à la Haute école de gestion Arc de Neuchâtel sur le thème de « Comment anticiper, comment surveiller la concurrence ». Une soixantaine de participants suisses et français, responsables en entreprises, indépendants et étudiants ont participé à cette journée avec enthousiasme, nous confortant dans l’idée que l’intelligence économique et la veille sont des thèmes d’actualité.

La 2ème journée franco-suisse « Intelligence économique et réseaux »

Forts de cette première rencontre, nous avons décidé de reconduire la formule et c’est ainsi que les mêmes partenaires se sont retrouvés pour organiser la 2ème journée franco-suisse en intelligence économique et veille stratégique sur le thème « Intelligence économique et réseaux : comment collaborer en réseau dans l’entreprise et hors de l’entreprise ». Une nouvelle fois, quelques soixante participants se sont donc retrouvés à Neuchâtel jeudi 16 juin 2005 pour suivre deux conférences le matin, des cas d’entreprises et une table ronde l’après-midi.

Sous la houlette de Stéphane Benoît-Godet, rédacteur en chef adjoint du magazine économique Bilan, c’est Philippe Clerc qui ouvre les travaux. Directeur de l’intelligence économique auprès de l’Assemblée des Chambres françaises de commerce et d’industrie, Philippe Clerc fait un exposé sur l’intelligence économique et les réseaux institutionnels, en se basant sur sa longue expérience de l’intelligence économique et ses travaux qui l’ont amené à faire des études comparatives entre la France, la Grande-Bretagne, le Québec ou encore l’Indonésie. Par réseaux institutionnels, il faut entendre les institutions qui participent aux réseaux, c’est le point de vue de l’entreprise sous l’angle de l’entreprise étendue, posture déclarative sur l’efficacité issue de la collaboration en réseau. Nous sommes dans l’ère des réseaux, c’est un thème d’actualité, plus encore lorsqu’il s’agit d’intelligence économique.

La réalité des dispositifs nationaux ou locaux d’innovation est constituée et se développe dans un entrelacs de réseaux formels et informels. Philippe Clerc distingue les réseaux à liens forts produisant des signaux forts partagés sur le métier, les cultures et les rites (souvent des sources personnelles informelles) et les réseaux à liens faibles produisant des signaux faibles (souvent issus de la documentation spécialisée ou de l’administration). Une étude canadienne remet d’ailleurs en cause la croyance selon laquelle il y aurait prédominance des réseaux à liens forts et signaux forts et démontre la valeur ajoutée qu’apportent les réseaux à liens faibles.

Mais Philippe Clerc remarque que l’Etat français structure le corps social depuis le 17ème siècle avec l’obsession de la coordination qui en arrive à devenir une fin en soi : il faut passer d’une culture de silos à une culture de réseaux. Dans la seconde partie de son exposé, Philippe Clerc illustre ses propos par des exemples divers. Le Royaume Uni, dans son modèle d’intelligence économique d’Etat est très présent sur les dispositifs de réseaux d’excellence à composante institutionnelle. C’est un ensemble de réseaux qui possède une base de données avec une banque de cas de bonnes pratiques concurrentielles et de compétitivité. Avec l’exemple de la coopération franco-indonésienne, notre conférencier montre comment des stratégies d’influence basées sur l’exportation du savoir-faire de veille et d’intelligence économique peut servir de levier au développement des exportations. La diaspora des étudiants indonésiens venus étudier en France joue un rôle essentiel en appliquant les méthodes et les outils étudiés au cours de leurs études au contexte local. Avec l’exemple québécois, nous avons un cas de réseau gouvernemental de veille intégrée sur les politiques publiques de par le monde. Ainsi, les acteurs peuvent identifier, en un laps de temps assez court, les changements pour informer les décideurs. La motivation est aussi de proposer une vision commune entre les ministères et de positionner la stratégie de chaque réseau institutionnel. C’est grâce à quelque cinq cents veilleurs-coodinateurs travaillant sur des cibles sectorielles et des cibles de réseau, que l’on voit une réelle volonté de coopération.

Le second conférencier est Christian Marcon, maître de conférences à l’Institut de la communication et des nouvelles technologies de l’Université de Poitiers, sur le thème de l’intelligence économique et les réseaux relationnels. Ce thème est étudié depuis plusieurs années par Christian Marcon et son collègue Nicolas Moinet, qui ont récemment publié un ouvrage qui fait autorité en la matière[1]. Les travaux sur le réseau, outil de stratégie, sont encore peu nombreux alors que la démarche réseau s’impose d’elle-même de nos jours, car : qui peut innover seul ? qui peut encore penser que l’on peut vivre heureux en vivant caché ? L’union fait la force et si la compétence est individuelle, l’intelligence est collective, nous dit Christian Marcon. Dans l’opinion publique, le terme de réseau garde une connotation « louche » mais c’est une question d’éthique personnelle car si le réseau peut être la mafia c’est aussi l’aide sur laquelle on peut compter en cas de catastrophe.

Notre conférencier aborde ensuite le thème du réseau relationnel, espace d’intelligence économique. Le réseau c’est l’ensemble des canaux de communication existant dans un groupe et leur configuration : ce n’est pas un espace homogène support de stratégies individuelles mais c’est l’ensemble de relations, en principe durables, émergeant entre plusieurs partenaires, le plus souvent institutionnalisés, dans des alliances et ayant une finalité économique et stratégique.

Les réseaux contemporains d’intelligence économique sont les réseaux professionnels (de filières, d’associations professionnelles…) et les réseaux socioprofessionnels (famille, voisins, amis…). Le réseau relationnel c’est aussi l’ensemble de liens sociaux dont l’individu hérite ou qu’il se créé au hasard de sa vie personnelle ou professionnelle. Dans la dynamique de l’intelligence économique, c’est la facilitation du contact pour l’obtention d’information selon le concept « cure and care ».

Christian Marcon cite encore le cyber-réseau dont le maillage repose de manière déterminante sur les outils de communication issus des technologies de l’information et de la communication ce qui facilite les échanges mais aussi avec risque de paralysie stratégique. Le réseau professionnel, formel ou non a comme raison d’être sa relation directe avec l’activité professionnelle des membres quel que soit le fondement de cette relation : lobbying, dynamisation d’activité, information, apprentissage collectif et davantage de pertinence dans la prise de décision.

Selon Christian Marcon, les facteurs clés de succès du réseau sont :

  • la volonté : la condition essentielle
  • la raison d’être ensemble : association, etc.
  • les règles du jeu : qui peut entrer, usages, langage, rythmes de fonctionnement, exclusion
  • l’organisation : carnet d’adresses, etc.
  • la matière à échanger : information, influence, réflexion, temps, relais, image, notoriété.

En termes stratégiques, tous les réseaux ne fonctionnent pas de la même façon ou du moins selon les mêmes ressorts stratégiques. La performance d’un réseau ne dépend pas de la taille du réseau mais du projet. Un réseau qui marche a souvent tendance au cloisonnement car « si on s’y sent bien on reste ensemble » ! A côté de cela certains réseaux sont créés par nécessité, comme par exemple un réseau bancaire. Un réseau a t-il un cycle de vie ? Sûrement, répond Christian Marcon bien que l’on n’ait pas de référence en la matière.

La deuxième partie de la journée est consacrée à la présentation de témoignages sur la manière dont le réseau est vécu et pratiqué, parfois avec ses limites, dans diverses entreprises et organisations suisses et françaises.

Les travaux sont ouverts par une présentation du nouveau cycle d’études postgrades HES en intelligence économique et veille stratégique, organisé par les Hautes écoles de gestion de Neuchâtel et de Genève. Plusieurs participants du premier cycle sont depuis peu diplômés, et l’un d’entre eux, Pierre Gfeller, présente plus tard les réseaux au sein de l’Observatoire de l’emploi. Un nouveau cycle d’études postgrades HES commencera en octobre 2005 pour s’achever en septembre 2007.

Marie Fuselier et Johanna Grombach présentent comment est mise en œuvre au Comité international de la Croix Rouge une démarche d’intelligence économique par la veille stratégique, en s’appuyant sur la gestion de l’information et en associant les thèmes stratégiques plutôt que les personnes ce qui permet à chaque employé de s’investir dans le système et de collaborer.

Marc Vuillet à Ciles, Directeur de l’Agence d’intelligence économique de Franche-Comté explique son travail avec les entreprises et comment il a pu mettre en place un dispositif d’intelligence économique collectif pour une filière industrielle. A partir de thématiques identifiées, l’information est partagée étant entendu que le veilleur, nous dit le conférencier, peut être n’importe qui.

Avec Michel Guinand, Directeur de la Fondation suisse pour les téléthèses, c’est la rencontre du réseau et du handicap. La seule possibilité de succès pour cette Fondation est le travail en réseau avec les associations de handicapés, de professionnels de la santé et des assurances sociales. Depuis quelques années, des collaborations ont été créées avec les Hautes écoles suisses.

Fabien Noir, responsable Market Intelligence et Forecasting chez Chicago Miniature Lighting, propose un retour d’expérience dans un domaine technologique spécialisé. Les objectifs du projet intelligence économique présentés par le conférencier sont au nombre de cinq :

  • stratégiques (avantage concurrentiel)
  • cyndiniques (protection du savoir-faire)
  • marketing commercial (vente, image…)
  • organisationnels (optimisation des flux d’informations internes)
  • sociaux (motivation, appartenance).

L’intelligence économique est focalisée sur l’environnement économique de l’entreprise et sur la définition de thèmes clés de surveillance.

Pierre Gfeller, diplômé des études postgrades HES en intelligence économique et veille stratégique, fait part de son expérience de mise sur pied d’un processus de veille à l’Observatoire romand et tessinois de l’emploi. Il aborde divers aspects :

  • De l’utilité de travailler en réseau
  • Les bases du fonctionnement de l’ORTE en tant que mission, connue de tous avec des axes de travail définis en amont
  • Les difficultés rencontrées : organisationnelles, le travail en lui-même, les techniques, la jeunesse de la structure qui a besoin de crédibilité.

Pour lui, le travail en réseau s’approche de l’intelligence collective.

En fin d’après-midi, Stéphane Benoît-Godet anime la table ronde, réunissant les intervenants de la journée auxquels s’est joint Stéphane Koch, président de l’Internet Society Geneva. Il propose à chaque panéliste de donner les mots clés qui caractérisent la journée. S’ensuit un échange avec l’auditoire, tous les participants à la journée s’accordant sur quelques éléments fondamentaux :

  • Le réseau a une identité forte
  • L’animation du réseau est problématique, il n’y a pas de solution universelle
  • Le réseau, qu’il soit institutionnel ou relationnel, doit vivre et c’est un défi quasi quotidien
  • Le réseau est basé sur l’humain, mais s’anime sur le principe de la bonne foi et de la volonté
  • Le réseau est indéniablement associé à la stratégie que l’on poursuit et au phénomène d’influence que l’entreprise veut avoir.
En guise de conclusion

Il ressort de cette deuxième journée que l’intelligence économique et la veille stratégique sont basées sur des solutions sur mesure mais dont le facteur humain est l’un des piliers sur lequel repose la réussite et la pérennité. L’entreprise ou l’organisation ne peut vivre sans réseaux, mais elle ne doit pas en être prisonnière. Le choix d’entrer dans les bons réseaux, la capacité de l’entreprise de les animer et de les utiliser dans un but stratégique est un élément fondamental de l’intelligence économique. L’aspect offensif du réseau reste encore en retrait car ce sont avant tout le travail collaboratif et le partage de l’information qui paraissent essentiels dans le processus.

Juin 2005
Jacqueline Deschamps – HEG de Genève
François Courvoisier – HEG Arc de Neuchâtel
Françoise Simonot – IUT de Besançon, Franche-Comté

© Ressi, no.1, janvier 2005, ISSN 1661-1802, tous droits réservés Retour en haut de la page

Date de création : 31.08.2005