Françoise Simonot, Professeur, Chef du département Information-Communication, IUT de Besançon, Université de Franche-Comté
Jacqueline Deschamps, Professeur, Haute école de gestion de Genève
François Courvoisier, Professeur, Haute école de gestion Arc, Neuchâtel
Le 22 juin 2007 s’est tenue à la Haute école de gestion de Genève (HEG) la quatrième journée franco-suisse en Intelligence économique et veille stratégique, organisée en collaboration avec la Haute école de gestion Arc de Neuchâtel et l’IUT de Besançon en Franche-Comté.
Magali Dubosson, directrice de la HEG de Genève, accueille les participants en rappelant que le thème de l’intelligence économique est porté depuis plusieurs années, de manière interdisciplinaire, par les trois filières présentes à la HEG : information documentaire, informatique de gestion et économie d’entreprise. Le diplôme postgrade « Intelligence économique et veille stratégique », co-organisé par les HEG de Genève et Neuchâtel, vient d’être accrédité en tant que MAS : Master of Advanced Studies HES-SO en Intelligence économique et veille stratégique.
Jacqueline Deschamps, co-responsable du postgrade ouvre la journée en rappelant que la veille, le lobbying et la protection de l’information sont les trois fondamentaux de l’intelligence économique. En Suisse, pays aujourd’hui considéré comme parmi les plus innovants, l’intelligence économique demeure encore embryonnaire. Soumis à un environnement turbulent, pressés par la nécessité d’innover, comment les responsables d’entreprises organisent-ils leurs activités de veille, levier indispensable de la connaissance et de la conquête des marchés ? C’est à cette interrogation que les différentes interventions tenteront de répondre.
Le mind mapping, un outil pour organiser la collecte d’information, par Pierre Mongin
Pierre Mongin, cadre territorial et professeur associé à l’Université Lille-1, présente les avantages du mind mapping pour la collecte et surtout la représentation de l’information. Le mind mapping est un plan de câblage des informations situées dans le cerveau : il s’agit de générer des chaînes d’informations. Sollicitant le cerveau droit, la carte heuristique constitue un mode d’écriture qui révolutionne la manière de penser : elle décuple la créativité et l’esprit de synthèse là où les modes traditionnels (le texte, mais aussi les slides d’une présentation visuelle) nous confinent à la linéarité. Ainsi, une carte heuristique de 140 mots peut rendre compte d’un texte de 900 mots.
Cinq principes permettent de construire une carte heuristique:
- l’idée principale se place au centre;
- des branches qui partent du centre supportent les principales idées secondaires;
- des ramifications complètent l’ensemble;
- la lecture se fait dans le sens des aiguilles d’une montre;
- tous les types de fichiers numériques (textes, photos, liens…) peuvent être agrégés à la carte.
Ce plan de câblage réalisé au moyen d’une carte heuristique permet de générer des mots-clés pour réaliser une veille.
Selon Pierre Mongin, la carte conceptuelle se distingue de la carte heuristique en cela qu’elle comporte plusieurs noyaux, et que les ramifications, qui représentent des liens entre des concepts, sont accompagnées de phrases explicites qui désignent la nature de ces liens. Formidable outil de prise de notes, de créativité à plusieurs, de réflexion et de synthèse, la carte heuristique n’est cependant pas encore lisible par tous, et la prudence s’impose pour une utilisation officielle.
Pierre Mongin nous signale un outil gratuit pour réaliser des cartes heuristiques : Free-Mind, à propos duquel va bientôt paraître son ouvrage « Démarrez tout de suite avec Free-Mind ». Des outils payants ( Mind Manager, Map it, etc.) sont référencés sur le site www.petillant.com.
La pige concurrentielle… ou comment « piger » la stratégie des concurrents, par Josée Bélanger Simko
C’est à une époustouflante réflexion à contre-courant que nous invite Josée Bélanger-Simko, directrice de l’agence Toutmorrow.
Aujourd’hui, l’arme de destruction massive, c’est le surplus d’information. Pour ne pas mourir, il nous faut passer du too much au much better. Pourquoi vouloir à tout prix « automatiser » la pige, autrement dit la veille concurrentielle ? Piger, en Europe, signifie comprendre ; mais au Canada, cela signifie « tirer au hasard » ! C’est donc trouver, dans le chaos, de la cohérence pour construire de la valeur ; a contrario, pour obtenir de la valeur, il faut donc… du chaos.
Vouloir à tout prix automatiser, c’est nous transformer en détectives à la recherche d’un crime. Ce qu’il nous faut pour avoir la capacité d’entrer en concurrence, c’est nous « autonomiser », devenir capable de décider et d’être créatif ; c’est repousser le consensus, qui est l’arrêt de la pensée ; c’est comprendre, adopter une logique de réception plutôt que de stockage, c’est se poser des questions :
- quels sont les éléments qui peuvent m’amener sur le même chemin que les autres? ou sur un mauvais chemin?
- qu’est-ce que je ne prends pas en compte ? et si on ne prenait rien en compte?
- si on parlait des autres industries?
Le jeu de la concurrence est un jeu de billard plutôt que d’échecs : il n’y a pas de cases, il y a plusieurs boules, et c’est aléatoire ; mais plus on a observé le jeu, plus on connaît les règles, et plus on a de chances de gagner.
Aujourd’hui, la technologie est accessible à tous ; pour se démarquer, il faut donc donner du sens, potentialiser le chaos, exploiter ses propres erreurs (mais ne pas les reproduire !). Plutôt que d’enrichir le produit, il faut chercher à enrichir la vie du client/consommateur, passer d’une économie de production à une économie de la valeur, faire que 1+1=11… Pour créer l’ampoule, Edison n’a pas analysé la bougie !
Lorsqu’on cherche à entrer en concurrence, il faut déjà savoir contre qui, et contre quoi. Apple n’a que 5% des parts du marché de l’électronique personnelle, mais c’est lui le véritable leader, le créateur de nouveaux designs, de nouveaux objets, tels l’i-phone : 30% des jeunes n’ont déjà plus de montre (leur téléphone portable la remplace), bientôt l’i-phone va faire disparaître l’ordinateur.
Ainsi il ne faut pas tant analyser ce que fait la concurrence que comment elle le fait ; ce qui va faire la force de la concurrence, c’est:
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Le niveau d’activité de l’entreprise, l’énergie qui lui permet d’être toujours synchrone (perfect timing);
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son adaptabilité aux situations nouvelles, sa capacité à anticiper toujours la prochaine étape (next step);
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La qualité de son discours (et c’est pourquoi il est important de savoir quelle est l’agence de pub du concurrent)
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La qualité de la relation qu’elle établit avec le client, et qui doit être marquée par la synchronie et la réciprocité, bien plus, par l’ « accordage affectif » : par exemple, à l’heure où des systèmes logistiques très sophistiqués peuvent être mis en place dans tous les domaines, Rolex fait attendre ses clients neuf mois pour la livraison de ses montres, leur procurant ainsi le plaisir rare de l’attente.
Notre concurrence, elle est d’abord en nous-mêmes : c’est notre inertie, notre inhibition. Pour entrer en concurrence, il faut:
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observer, ne pas rester au bureau, travailler avec des gens à l’extérieur, ou des gens qui pensent comme à l’extérieur;
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accepter la passivité réceptrice;
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ouvrir, casser les choses; ne pas se taire, douter, ne pas être raisonnable;
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conduire le changement plutôt que se le laisser imposer.
Felco, une PME à la conquête du marché chinois, par Patricia Borloz
Felco, installée dans la Watch Valley près de Neuchâtel, produit depuis 60 ans des outils de taille, essentiellement des sécateurs en aluminium matricé, pour une clientèle fidèle de professionnels, horticulteurs et paysagistes. Un million d’outils sont produits chaque année, dont 80% de sécateurs : ce sont des outils légers, démontables, garantis à vie puisque les principales pièces peuvent en être changées. Les valeurs de l’entreprise sont :
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la grande qualité du produit, efficace, durable et écologique, suscitant la fierté des employés et la fidélité des clients;
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son prix élevé;
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la prise en compte de la santé des utilisateurs (pas d’ampoule, pas de tendinite)
Une réussite aussi assise doit rendre encore plus vigilant quant à l’avenir : le matériau spécifique peut disparaître, le besoin auquel il répond peut disparaître (apparition d’espèces ne nécessitant pas de taille, modification de la géographie des cultures, etc.). Patricia Borloz, responsable de la recherche marketing chez Felco, a donc mené une réflexion de fond en partant des caractéristiques de sa clientèle : après avoir vu les clients sur le terrain et les besoins auxquels répondaient les produits Felco, elle a recherché les liens entre les différentes cultures (pomme, vigne) et le pouvoir d’achat, identifié dans le monde les cultures qui rapportent (comme la vigne) et qui occupent des surfaces importantes, sélectionné les pays dans lesquels ces cultures étaient en croissance.
Elle a ainsi découvert que, alors que l’Europe subventionne l’arrachage de vignes sur son territoire, la Chine a augmenté sa surface de culture de la vigne de 53% entre 1999 et 2003, pour atteindre 150 000 ha, et que 40% de la production mondiale de pommes est en Chine… Au même moment en Europe, la surproduction fruticole entraîne une moindre taille des arbres fruitiers et donc la baisse de consommation des outils de taille.
En 2003, Felco se met donc à observer la Chine : un premier voyage dans ce pays permet la création d’un petit réseau de correspondants ; une participation à un salon professionnel offre ensuite l’opportunité d’entrer en contact avec un importateur, et d’amorcer avec lui une relation de confiance. Plus tard l’importateur organise pour Felco un voyage chez des viticulteurs, au cours duquel la société vend directement quelques sécateurs à des passants. Les liens sont renforcés, l’importateur est conquis : à l’automne 2007, Felco participera à une exposition viticole en Chine.
Pour asseoir la croissance régulière de l’entreprise, il faut donc en permanence chercher à anticiper les changements de la société mondiale en général, tout en « collant » aux besoins des utilisateurs finaux.
Présentation et démonstration de deux types d’outils de veille, par Lionel Cammarata
Lionel Cammarata, assistant à la HEG de Genève et consultant en intelligence économique, nous présente deux outils gratuits, complémentaires et désormais indispensables pour la veille : les fils RSS et les outils de surveillance automatisée de sites.
Les fils RSS (Rich Site Summary, ou Really Simple Syndication) sont des fichiers en XML régulièrement actualisés qui proviennent de contanus de sites éditoriaux gratuits et qui procurent des informations bibliographiques et un lien vers des documents publiés sur le web.
Ces fils RSS procurent un gain de temps pour être en permanence alerté sur un domaine intéressant.
Pour les lire, on peut utiliser différents outils en ligne : des agrégateurs qui permettent de rendre lisibles les fils RSS sur sa propre page web (ex Bloglines), des portails personnalisables (Netvibes, Webwag..), certains navigateurs internet (Firefox, IE7), et certains webmails. On peut également installer un lecteur de fil RSS (Newzie, Feedreader) ou un client de messagerie adapté, comme RSSowl, Outlook ou Thunderbird.
Les outils de surveillance tels que Websitewatcher, Wysigot ou encore KBcrawl, procurent une gamme de fonctionnalités plus ou moins sophistiquées, qui vont de la simple alerte lorsqu’une page web monitorée a subi une quelconque modification, à l’alerte combinée avec des filtres de mots-clés, qui permettent de détecter l’apparition ou la disparition d’un mot-clé ou d’une combinaison de mots-clés sur les différentes pages d’un site.
Si les fils RSS concernent surtout l’information de presse, alors que les outils de surveillance sont nécessaires pour toutes les autres sources, Lionel Cammarata nous explique, en prenant l’exemple d’une agence de tourisme, comment une bonne connaissance de ces deux types d’outils et leur combinaison peuvent permettre la mise en place d’une surveillance efficace.
Mais comment trouver le bon fil RSS ? Il existe des catalogues (http://w.moreover.com), parfois sectoriels (cf. le site Veille Info Tourisme), et Google Actualités permet de sélectionner un fil RSS à partir d’une requête.
Comment mettre en place une surveillance concurrentielle efficace ? Websitewatcher permet par exemple de sélectionner, sur les sites préalablement signalés, les annonces promotionnelles sur des voyages à J-4, et de détecter les modifications sur ces annonces, comme les changements de prix.
Comment opérer une surveillance sur des listes de discussion ? Il est possible, avec Newzie, d’acquérir le fil RSS correspondant à la liste de discussion, puis de créer un nouveau fil RSS et d’indiquer les mots-clés de filtre.
En conclusion, Lionel Cammarata résume les avantages et inconvénients de l’utilisation des fils RSS pour la veille : ils ne sont actifs que pendant la connexion (contrairement à Google Alert, qui surveille en permanence), et ils peuvent aboutir à une surabondance d’information. En revanche, ce sont des outils de plus en plus simples à utiliser et de prix abordable.
Comment identifier ses concurrents et anticiper sur leurs marchés, par Franck Tognini
Franck Tognini, directeur général du réseau Vigilances.fr, nous livre un tour d’horizon des meilleures pratiques pour collecter l’information concernant nos cibles et, a contrario, pour protéger l’information sur notre propre entreprise.
Les « sources blanches » sont connues et surveillées par la plupart : ce n’est donc pas de là que surgira l’avantage concurrentiel, mais plutôt d’une exploitation soutenue des sources grises : communiqués de presse, mais aussi annexes des rapports de stages, soutenances, discussions privées, disques durs d’un parc informatique mis au rebut… il faut exploiter l’absence de discrétion de nos concurrents.
C’est d’abord une attitude d’étonnement, personnel puis collectif, qui peut nous mener « de la veille à l’éveil » : en cela, le « rapport d’étonnement », par lequel un collaborateur relate non pas ce qu’il a constaté, mais ce qu’il ne comprend pas, est un outil de veille performant, à condition que l’ensemble des rapports soit exploité régulièrement et que chaque informateur obtienne un retour sur ce qu’il a signalé.
En effet, tout collaborateur (livreur, réceptionniste, ouvrier…) est un capteur potentiel d’information : il faut sortir les personnes de leur rapport habituel au travail, de leur fonction d’exécutant, et les impliquer en leur donnant la parole, comme c’est le cas sur les chaînes de montage de Toyota à Valenciennes.
Marier les contraires, mélanger les cultures peut être aussi un facteur de réflexion et d’étonnement fécond : par exemple, répartir la lecture de revues en faisant lire des revues techniques à des commerciaux et réciproquement, ou encore, envoyer les cadres à des salons dans des domaines inhabituels pour eux.
Pour bien tirer parti des participations de l’entreprise à des salons professionnels, il importe de cibler les salons intéressants, qui peuvent être beaucoup plus divers qu’on le croit : une participation à un « salon du bien être » permettra de sentir les tendances émergeantes en matière de sécurité alimentaire, d’emballage, etc. ; de même, un salon touristique renseignera sur de grands investissements publics en BTP… Il convient ensuite de préparer la liste des informations qu’on souhaitera y recueillir : quelle information, auprès de qui, à quel moment stratégique (pause méridienne, fin de salon…). Enfin, au cours du salon, Franck Tognini préconise de profiter des pauses pendant lesquelles les stands se vident pour discuter avec les stagiaires délaissés, récolter les cartes de visite ou les listes de contacts abandonnées sur les comptoirs…. sans oublier d’écouter les conversations lors des cocktails et du voyage retour.
Bien au fait de ces méthodes « grises » de collecte de l’information, l’entrepreneur soucieux de protéger l’information sur son entreprise doit tout envisager et être particulièrement vigilant sur les points suivants :
- les visites : badger les visiteurs, ne pas les laisser seuls, limiter les accès aux locaux, s’assurer que les fumeurs dehors ne sont pas interrogés par des personnes extérieures, se méfier des visites touristiques de l’entreprise ;
- les stagiaires et intérimaires : limiter et gérer leurs accès à l’intranet et aux données, contrôler la diffusion des rapports de stage, bien expliquer aux stagiaires de quelles tentatives ils peuvent être l’objet.
- les partenaires et prestataires : s’assurer que les avocats, experts comptables, commissaires aux comptes protègent correctement leur système informatique contre les intrusions.
- les transports : limiter les conversations professionnelles dans les trains et navettes d’aéroport.
- les réseaux : investir dans des réseaux « sociaux » en créant des communautés de confiance, plutôt que dans des réseaux professionnels ouverts aux concurrents.
- enfin, il faut se méfier des accès wifi que nous utilisons hors de notre entreprise !
Veille marketing dans des groupes industriels : quelles méthodes ? par Romuald Messina
Membre du groupe Lafontaine, Romuald Messina a à la fois une pratique de l’Intelligence Economique (IE) dans des cabinets très offensifs et l’expérience de la mise en place d’un service d’IE dans deux grands groupes industriels, Air Liquide et Schneider Electric. Selon lui, le principal enjeu n’est pas tant de capter l’information confidentielle que de savoir correctement l’exploiter. Il expose la démarche de mise en place de l’activité d’intelligence économique au sein d’un grand groupe.
La première préoccupation a été de mener un audit informationnel au sein du groupe, et de clarifier la mission « intelligence économique », qui aujourd’hui, chez Schneider Electric, s’organise selon trois axes :
- détecter les mouvements stratégiques des concurrents et informer la direction sur eux ;
- analyser, comprendre et anticiper ces mouvements, grâce notamment à des contacts directs ;
- répondre aux questions urgentes du top management en 24 heures.
La mise en place d’une plateforme de veille est intervenue rapidement et s’est faite avec l’implication des différentes équipes et des filiales ; l’appel d’offres international a abouti à mettre en concurrence deux entreprises françaises (hasard heureux puisque les Américains ne connaissent pas et redoutent les outils français), et c’est Digimind qui a été choisi pour développer un outil dédié et le déployer en moins de trois mois. Aujourd’hui, cette plateforme permet le suivi quotidien, voire horaire, et le recoupement de 1265 sources multilingues. Le fait que tous les acteurs impliqués utilisent une seule et même plateforme de veille permet la standardisation des méthodes de veille, l’échange de bonnes pratiques, et dégage du temps pour l’analyse ; cela facilite aussi la publication diffusion ciblée de l’information.
La cellule de veille est une équipe souple et dynamique : elle comprend une dizaine de personnes, et elle est en relation directe avec le top management : elle doit pouvoir réagir dans un délai de quatre heures. Elle assure la « chaîne de la valeur » de l’information : identification des besoins, collecte, organisation, analyse, vérification auprès d’experts, publication de l’information.
Par ailleurs, elle sensibilise et forme des veilleurs dans les filiales, et anime des communautés de veilleurs selon les thématiques : ces veilleurs interviewent les experts et savent analyser, synthétiser, faire remonter l’information selon les processus établis : ce dispositif, qui comporte aujourd’hui 11 relais et 35 collaborateurs dans les filiales, est plus efficace que de demander à tous les membres du groupe de consacrer du temps à la veille, alors qu’ils ne maîtrisent pas forcément la méthodologie. Les veilleurs sont toujours cités lors de la publication d’informations qu’ils ont fait remonter.
Le processus de collecte de l’information est industrialisé : les sources sont réparties entre les veilleurs, qui utilisent les mêmes outils:
- une classification ad hoc, bien pensée, disponible dans toutes les langues du groupe, et qui permet de multiclasser les informations ;
- un modèle d’analyse des informations ;
- le recours organisé à des experts internes qui aident à comprendre l’information.
L’information de veille est échangée avec les différentes communautés thématiques concernées dans les filiales, puis entre elles, puis avec des clubs, clients, partenaires : ces échanges d’information se font selon une cartographie très précise des réseaux, où sont représentées les compétences, l’appartenance à tel ou tel club, à tel ou tel conseil, de chaque membre. Chaque information est partagée entre une dizaine de personnes maximum, toujours sur la base de missions précises et ponctuelles, et non publiée à tout vent sur un intranet.
Pour résumer, Romuald Messina conseille :
- d’avoir une vision claire de ce que l’on cherche
- de créer son dispositif de veille
- de créer un réseau de correspondants, sur la base d’un échange réciproque : information contre compétence pour la traiter
- d’encourager le partage de l’information, mais bien ciblé et non documentaire.
Les études de marché au service de la veille stratégique, par Frédéric Laforge
Classiquement, l’étude de marché intervient bien après l’étude de veille, et fait appel à la parole du consommateur, ce qui suppose qu’il y ait déjà un produit et des clients pour ce produit. L’approche « veille » n’est donc pas existante dans les cabinets d’études de marché, et il n’existe d’ailleurs pas de produit ainsi labellisé chez GFK. Frédéric Laforge s’est donc posé deux questions :
1° - Les cabinets d’études de marché font-ils de la veille sans le savoir ?
Dans les études classiques, il arrive que certaines questions soient déconnectées d’un produit précis et portent sur ce qui motive le comportement. Par exemple, une étude récente pour l’Oréal s’interrogeait sur le rapport à la peau des Françaises aujourd’hui ; la conclusion était qu’à l’image d’une superposition de couches (endoderme, derme, etc.) s’était substituée l’image d’échanges avec l’extérieur, et donc la question de ce qu’on laisse entrer ou sortir.
Une telle tendance est certes intéressante à explorer dans une optique de veille sociétale très amont. Mais plus généralement, ces études exploratoires sont très longues et très coûteuses, car elles nécessitent d’importants échantillons et de longues analyses.
2° Y a-t-il d’autres outils qui puissent couvrir les besoins de veille à des coûts raisonnables ?
Dans le même type d’approches très « macro », on peut citer les études très générales sur les comportements et les habitudes d’une catégorie de personnes : à quelle heure se lèvent-elles, que mangent-elles, etc. On sait ainsi que les cigarettiers achètent énormément d’études sur le comportement des adolescents. Il faut citer aussi les « observatoires », rapports synthétiques annuels sur l’évolution du monde, établis sur la base de discussions avec des leaders d’opinion. Mais ces études sont très vastes.
Sur un plan cette fois « micro », les traditionnels panels de consommateurs et panels d’encaissements dans les grandes surfaces ne concernent que des produits finis : ils permettent de mesurer des parts de marchés, mais non pas de définir une politique : ce n’est donc plus de la veille, c’est de l’autopsie….
Un modèle d’étude plus adéquat semble être le « tracking de marché » : il s’agit de vérifier régulièrement le positionnement d’un produit sur son marché, de vérifier la bonne santé de l’image et des valeurs de la marque. Il s’agit d’une étude simple, composée de trois ou quatre questions, comportant toujours rigoureusement les mêmes items, posées à un petit échantillon de personnes plusieurs fois par an. Le coût peut être inférieur à 10 000 CHF par an. Quelques exemples :
- « Nespresso est-elle pour moi une marque innovante/ une marque en qui j’ai confiance / une marque haut de gamme / une marque pour les gens comme moi ? » ;
- « Fumer, est-ce cher / dangereux / cool / agréable » ?
Ces études permettent de vérifier que la marque est bien au cœur de son marché, et d’anticiper les déplacements de ce marché.
En conclusion, Frédéric Laforge note que, pour mener ces études, certains cabinets utilisent aujourd’hui les forums on line ; ceux-ci sont aussi utilisés pour « casser » des marques par des concurrents qui chargent ces forums de faux messages de mécontentement.
Synthèse de la journée, par Romuald Messina
Pour conclure la journée, Romuald Messina en reprend les points-clés sous forme de conseils :
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Ayons conscience que nous sommes tous observés (Google) : … et utilisons ces mêmes outils, comme Google Trend, pour observer à notre tour;
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Soyons attentifs aux risques de pillage de l’information : mettons en place des salles neutres, limitons les destinataires de nos informations au strict nécessaire, etc.;
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Ayons conscience aussi du risque de manipulation de l’information : par exemple, soyons attentifs aux blogs et aux forums ;
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Accordons toute son importance à la remontée de l’information : par exemple, mettons en place les rapports d’étonnement et les réseaux de veilleurs correspondants;
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Créons de l’intelligence collective : des réseaux de partage, des réseaux d’aide à la compréhension de l’information;
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Soyons créatifs, imaginatifs, mélangeons les gens, pensons autrement, trouvons des « trucs » : par exemple, pour évaluer l’effectif d’une entreprise, comptons les places de parking devant le siège…
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Ne stockons pas l’information, faisons-la circuler, car l’information appelle l’information;
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Utilisons le mapping pour organiser et exploiter l’information, mais aussi pour bien d’autres applications : par exemple, le mapping des salons où un concurrent est présent met en lumière ses liens technologies / marchés / pays;
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Enfin, soyons conscients que tout ce travail se fait dans la durée et que rien ne se fait en un jour…
Août 2007
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