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Quels services d’information documentaire aujourd’hui ? Pistes de réflexion issues d’une Journée d’étude organisée récemment par le département Information documentaire de la HEG Genève

par Florence Muet, Professeure Information documentaire, HEG Genève

Comment évoluent les services d’information aujourd’hui, dans un environnement complètement renouvelé ? C’est à cette question majeure que le département Information documentaire de la Haute Ecole de Gestion de Genève a tenté de chercher des réponses en organisant le 25 septembre dernier à Lausanne une journée d’étude professionnelle intitulée « Services d’information documentaire : adaptations, innovations, nouveaux concepts ». L’objectif était de recueillir le témoignage de responsables de bibliothèques et de services documentaires représentatifs de nouvelles approches de la fonction documentaire, et ce dans trois domaines : la lecture publique, les bibliothèques académiques et les services documentation professionnels (1). La présente contribution propose, en guise de synthèse des témoignages et des débats de la journée d’étude, quelques pistes de réflexion pour tenter de comprendre dans quel sens se déploie cette nouvelle vision des services d’information documentaire et de leur mode d’intervention.

On ne fera qu’évoquer ici les mutations qui rendent nécessaires ces nouvelles approches, tant elles sont déjà vécues par chaque professionnel de l’information, quel que soit son univers de travail. Force est de constater que les services d’information documentaire sont aujourd’hui pris entre trois pressions face auxquelles ils doivent se situer. Les utilisateurs, parce qu’ils ont le choix, montrent un niveau d’exigence de plus en plus élevé, à la fois sur la pertinence des services qui leur sont proposés et sur la qualité de la mise à disposition de ces services. L’avènement de la documentation numérique a fait apparaître de nouveaux opérateurs de l’accès à l’information et au savoir, dont certains sont dotés d’une force de production et de commercialisation qui tend à en faire les leaders du secteur (Google est ainsi devenu en seulement quelques années le standard de la recherche d’information). Enfin, les institutions elles-mêmes (et les collectivités qu’elles représentent), parce qu’elles financent leurs infrastructures documentaires, attendent encore plus qu’avant une contribution effective et directe de ces services à leur activité, ainsi que la preuve de cette contribution. Dans ce contexte, les services d’information documentaire sont amenés à « repositionner leurs valeurs ajoutées » pour reprendre l’expression de Ghislaine Chartron, directrice de l’Institut National des Techniques Documentaires à Paris (2), dans son allocution d’ouverture.

Un postulat avait présidé à la préparation de cette journée d’étude : la réponse que doivent donner les services d’information documentaire à cette nécessité de confirmer leur place dans le nouvel ordre documentaire est celle de l’innovation dans les prestations proposées et du développement de nouveaux concepts de services. A l’écoute attentive des différentes contributions, l’impression générale qui ressort est qu’en fait, il ne s’agit pas toujours forcément d’innovation au sens de création de services qui n’existaient pas avant, mais plus globalement d’une vision totalement renouvelée de la fonction documentaire, qui amène à mettre en œuvre différemment des services assurés depuis finalement longtemps pour certains. Les Ideas Stores (3) continuent de faciliter l’usage de ressources documentaires pour le grand public, comme toute bibliothèque de lecture publique ; mais autrement. Les Learning Centres (4) assurent, comme les bibliothèques universitaires traditionnelles, l’accès au savoir scientifique et à la méthodologie documentaire ; mais avec de nouvelles modalités. Les services documentation professionnels ont depuis bien longtemps développé des prestations de diffusion d’information ; leur action n’est cependant plus forcément pensée de la même façon aujourd’hui.

Bien sûr, l’offre des services d’information documentaire en direction de leurs publics évolue nettement. Une première tendance est de diversifier les ressources mises à disposition. Le cas de la lecture publique est emblématique. Ainsi, le succès de la DOK Library Concept Center de Delft en Hollande (5) est fondé en bonne partie sur une multiplication des types de supports mis à la disposition des publics : des livres bien sûr, mais aussi et surtout des e-books, des supports audiovisuels (films, musique, vidéo), des jeux vidéo, etc. L’idée globale est de proposer au public des expériences plurielles d’accès au savoir ou au loisir. Les bibliothèques scientifiques diversifient également depuis longtemps leurs collections, avec une part de plus en plus importante accordée aux ressources numériques, mais aussi à des outils logiciels, des tutoriels, etc. Dans les Learning Centres, par exemple, l’objectif est de combiner un ensemble de ressources et d’outils pour que chaque étudiant puisse trouver ce qui convient à son style d’apprentissage.
Un autre credo est celui de la primauté donnée aux flux d’information. Une bibliothèque n’est plus un réservoir mais un nœud de circulation du savoir. Le nom du projet de modernisation des bibliothèques de l’ONU (6) est révélateur à ce propos : il s’agit de passer « des collections aux connexions ». Le rôle du professionnel de l’information est avant tout de faciliter l’accès à l’information et ce de façon dynamique. L’exemple du centre d’information et de documentation du Comité International de la Croix-Rouge à Genève (7) illustre cette logique. A côté d’un service standard de mise à disposition de ressources documentaires pour les publics internes et externes (bibliothèque de 25 000 ouvrages, médiathèque de 120 000 photos), ce centre a fondé son développement sur la mise en place de prestations de recherches et de veille documentaire pour l’interne. Une bonne partie de l’équipe travaille ainsi à la réalisation régulière de dossiers de synthèse, de bulletins de veille thématique, de produits de surveillance à partir des bases de données médias et d’Internet, etc.
Enfin, les maîtres mots pour les services d’information documentaire aujourd’hui sont ceux de l’interactivité, du service et de la médiation. Tout est fait pour que la bibliothèque vive au rythme de l’usager et cultive en quelque sorte l’empathie avec lui. Un premier principe est celui de la simplicité : de la consultation du catalogue, des accès aux ressources, des modalités d’utilisation. Les bibliothèques sont désormais « plug and play ». Une autre clé est celle de la proximité avec l’usager. Les Idea Stores se sont implantés à proximité des lieux de passage de leur public cible. Les études préalables à leur conception ont en effet montré que les usagers souhaitaient se rendre à la bibliothèque à l’occasion de leurs déplacements de vie quotidienne, autrement dit en même temps qu’ils font leurs courses. Les Learning Centres se définissent comme des centres de vie au sein des campus, avec des espaces modulables pour accueillir différents types d’activités et une accessibilité garantie par des horaires d’ouverture élargis. Les services d’information spécialisés garantissent une présence régulière auprès de leurs usagers, adoptant leur rythme de travail. Une autre tendance est l’adoption des modes de fonctionnement des usagers. La bibliothèque n’est plus un lieu à part, doté de règles différentes auxquels les usagers devraient se conformer. Elle adopte les modes de fonctionnement qui ont cours aujourd’hui, notamment avec les jeunes générations. Ce qui paraissait iconoclaste il y a encore peu tend à devenir la norme : intégration de cafétérias et de cafés Internet, autorisation du téléphone portable et du bruit dans certains espaces, choix de couleurs vives et de mobilier design, etc. Enfin, l’accent est mis sur la communication avec l’usager. Les services d’information documentaires s’organisent pour que les personnels soient véritablement disponibles et à l’aise avec les usagers. Dans les bibliothèques publiques, les postes de renseignement sont allégés mais mieux répartis au sein des espaces. Dans les Learning Centres, les bibliothécaires assurent une prise en charge individualisée des étudiants, notamment sous forme de tutorat documentaire. Et les équipes des services documentation spécialisés sont intégrées dans des groupes de travail avec leurs utilisateurs. Dans tous les cas, les compétences en termes de communication et de relation interpersonnelles sont favorisées et développées pour les personnels en contact avec le public.

Les évolutions sont donc nettes dans la façon de concevoir les services rendus aux publics. Mais l’apport le plus intéressant de la journée d’étude nous semble résider dans le constat d’une évolution radicale de la posture des professionnels de l’information vis-à-vis de leur activité. Au-delà de la modernisation des services rendus aux utilisateurs, c’est en fait une conception rénovée de la fonction documentaire qui se fait jour.

D’abord, les différentes évolutions dans l’offre des services d’information documentaire que nous venons de citer sont toutes liées, explicitement ou non, à une philosophie très forte du centrage premier sur l’utilisateur. C’est peut-être en bonne partie là que se situe la transformation de fonds des services d’information documentaire. La bibliothèque traditionnelle était centrée sur sa collection, qui fondait sa légitimité et organisait son fonctionnement, autour du modèle du circuit du livre. Son rôle premier était de préserver et de valoriser le savoir. La bibliothèque d’aujourd’hui fonctionne à partir de son public, part de ses attentes et de ses comportements. Il est ainsi avéré que le cœur du service d’information documentaire n’est plus la gestion de la ressource documentaire (dont par ailleurs les modalités changent radicalement, avec la documentation numérique qui tend à devenir dominante dans de nombreuses bibliothèques) mais la gestion de l’utilisateur. Une autre façon de dire ce changement radical est de considérer que le cœur de métier du professionnel de l’information n’est plus l’indexation mais la médiation. Le rôle premier du service d’information documentaire est ainsi d’animer un ensemble de dispositifs d’accès et de circulation du savoir, en adaptant ses modalités de fonctionnement aux pratiques, aux envies et aux contraintes des utilisateurs. Certes, cette logique existe déjà depuis plusieurs années, notamment avec l’adoption bien comprise de méthodologies de marketing pour penser l’offre de services aux utilisateurs. On réalise aujourd’hui qu’il ne s’agit pas d’une option mais bien d’une logique de comportement première pour n’importe quel service d’information documentaire. L’écoute des publics, l’analyse de leurs besoins, l’observation de leurs pratiques et l’évaluation de leur satisfaction deviennent alors des facteurs de réussite incontournables.

Une deuxième évolution fondamentale, extrêmement présente dans les discours de tous les intervenants de la journée d’étude, réside dans le fait que les services d’information documentaire entendent se positionner comme de véritables acteurs au sein de leur communauté (une municipalité pour une bibliothèque de lecture publique, la communauté académique pour une bibliothèque scientifique ou encore l’entreprise pour un service documentation interne) et non pas comme de simples fournisseurs. Le maître mot est alors celui de la contribution effective de ces services d’information à l’activité et au développement de leur communauté. Au-delà de la fonction documentaire, c’est ainsi le rôle social ou institutionnel du service d’information documentaire qui est mis en avant et qui dicte les règles de son activité et de son fonctionnement. Ainsi, les Idea Stores participent très clairement à un projet global d’intégration sociale de populations culturellement défavorisées (ils sont situés dans les quartiers les plus pauvres de Londres) par l’accès au savoir et à la formation. Les Learning Centres sont conçus pour être un des outils du développement de la compétence individuelle et, au-delà, de l’intelligence collective, facteur premier de compétitivité des territoires, dans une économie de l’information. Et les deux exemples de services spécialisés présentés lors de la journée montrent bien comment leur intervention est conçue pour être plus qu’un simple appui puisqu’ils participent directement à l’activité en apportant leur compétence là où elle est utile (le service information-documentation du CICR est par exemple une des différentes structures internes actionnées dans le processus de préparation d’une mission d’intervention ; la bibliothèque de l’ONU à New York a quand à elle évolué fortement vers une mission d’apprentissage informationnel des agents de l’organisation). Une nécessité impérative pour les responsables et les concepteurs de services d’information documentaire est alors de disposer d’une véritable vision stratégique (et de s’en donner les moyens !), permettant de repérer et de comprendre la dynamique et les enjeux auxquels leur service doit répondre. Une autre conséquence réside dans le fait d’être sur un comportement très réactif. Les professionnels de l’information sont ainsi amenés à identifier là où leurs compétences peuvent être utiles et à engager eux-mêmes des propositions de service, dans une véritable logique d’acteur.

Une dernière dimension de cette nouvelle vision du service d’information documentaire, qui découle en bonne partie des précédentes, est celle d’une approche élargie et ouverte de la fonction documentaire. On parle aujourd’hui de nouveaux concepts pour les bibliothèques aussi parce que ces services vont sur des terrains où ils n’étaient pas présents auparavant, plus précisément s’articulent étroitement avec d’autres activités ou fonctions, avec l’idée globale de proposer à l’usager une porte unique d’accès à un ensemble intégré d’activités et de ressources. Pour les bibliothèques publiques et académiques, le lien est nettement fait entre information et formation, des alliances intimes de services étant proposées aux usagers autour de ces deux approches complémentaires. Les Idea Stores proposent à leur public un ensemble complet de services reliés entre eux, allant de l’accès à des ressources documentaires à l’organisation de formations dans tous les domaines, de l’aromathérapie à la comptabilité, des arts du jardin à la création de pages web. Des salles de cours sont implantées au cœur des Learning Centres, mais aussi des cellules d’édition numérique pour les étudiants, des salles multimédia, etc. La diversification touche aussi les publics. Ainsi, l’Infothèque de l’Université Léonard de Vinci (8) située à Paris cible non seulement le public naturel des étudiants de l’institution mais étend aussi ses prestations documentaires et de formation à l’information à un public professionnel, notamment de chercheurs d’emploi. Les services documentation d’entreprise sortent également de leur mission traditionnelle de gestion des publications externes pour devenir les animateurs des dispositifs de capitalisation des connaissances, de records management et de gestion individuelle de l‘information (une des prestations mises en place par la bibliothèque de l’ONU à New York est par exemple d’apprendre aux agents à mieux gérer leur messagerie électronique).

On voit donc bien aujourd’hui que ce n’est pas (ou plus) la logique documentaire qui prime pour la conception des services d’information documentaire, mais bien la double perspective des usagers (diversité des ressources, simplicité d’accès et d’utilisation, animation et commodités, interaction et personnalisation du service) et de la collectivité (intégration sociale par le savoir et la culture pour la lecture publique ; enjeu des compétences pour les bibliothèques universitaires ; contraintes d’efficacité opérationnelle pour les entreprises ) qu’ils servent. Au final, un service d’information documentaire se définit aujourd’hui comme un dispositif catalyseur de ressources, de services et d’expertise. Sa valeur ajoutée provient de la combinaison de cet ensemble de prestations complémentaires et de relations de services multiples. Et c’est bien cette logique d’intégration qui semble fonder la place, le rôle et l’action des services d’information documentaire dans une économie de l’attention.

Notes

(1) On trouvera un compte rendu de cette journée d’étude dans l’article : C. Bize, K. Pasquier. Services d’information documentaires. Adaptations, innovations, nouveaux concepts. Documentaliste-Sciences de l’information, vol 45, n°4, novembre 2008, pp 20-21

(2) http://intd.cnam.fr

(3) http://www.ideastore.co.uk

(4) Voir celui de l’Université de Kingston, présenté lors de la journée d’étude. http://www.kingston.ac.uk

(5) http://www.dok.info

(6) http://www.un.org/Depts/dhl/dhlf/index.html

(7) http://www.icrc.org

(8) http://www.devinci.fr/infotheq

© Ressi, no8, décembre 2008, ISSN 1661-1802, tous droits réservés Retour en haut de la page

Date de dernière mise à jour : 19.12.2008