ISSN 1661-1802

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Les pratiques d’accès à l’information : le cas des concepteurs de produits de placements financiers
par Eric Thivant et Laid Bouzidi

Résumé

Cette étude propose un nouveau cadre conceptuel pour expliquer les pratiques d’accès à l’information des professionnels, c'est-à-dire les pratiques de recherche et d’utilisation de l’information pour l’action dans un cadre professionnel, en prenant l’exemple des professionnels financiers et plus précisément des concepteurs de produits financiers. Prenant appuis sur un paradigme « orienté usages », très utilisé dans le monde anglo-saxon, ce travail de recherche souhaite démontrer l’intérêt d’un nouveau cadre théorique et méthodologique « orienté activité », pour décrire ces pratiques d’accès à l’information, en prenant le cas à la fois des concepteurs de bons d’option et des concepteurs de produits collectifs (Organismes de Placements Collectifs en Valeurs Mobilières). Ce nouveau cadre s’appuie sur l’hypothèse selon laquelle l’activité influence directement les pratiques d’accès à des professionnels financiers et propose deux méthodes d’entretiens spécifiques qui prennent en compte la spécificité de la notion d’information pour un milieu professionnel et pour une activité donnée.

Mots-Clés : pratiques de recherche et d’utilisation de l’information, pratiques d’accès à l’information, accès à l’information financière, activités informationnelles, courant de recherche activité, organismes de placements collectifs

Abstract

This study deals with information seeking and use behaviour for professionals, that is to said in a professional context, by taking the financial professionals’ example and more exactly the financial products’ designers. Taking supports on a "oriented user" paradigm, very used in the Anglo-Saxon world, this paper wishes to demonstrate the interest of a new theoretical and methodological framework "oriented activity", in order to describe these information access practices, by taking some examples such as warrant designers and collective products designers (Collective Investment vehicles). This new framework is based on the hypothesis according to which activity directly influences the information access practices for financial professionals and proposes two specific methods which take into account the specificity of the notion of information in a professional environment and for a given activity.

Keywords: Information seeking and use behaviour, information access practices, information activity, financial information, activity paradigms, Collective Investment vehicles


INTRODUCTION

L’arrivée du tout numérique et d’internet dans le monde du travail modifie l’activité des professionnels et change profondément leurs pratiques d’accès à l’information, c'est-à-dire leurs pratiques de recherche et d’utilisation de l’information dans le contexte professionnel.

L’objectif de cet article est donc de réfléchir à la mise en place d’un nouveau cadre théorique et méthodologique susceptible de rendre compte de ces pratiques informationnelles quotidiennes qui sont bouleversées par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

Dépassant le clivage aspects-techniques / aspects-humains en science de l’information, mise en évidence par Deschamps (2005), et ne pouvant pas se satisfaire entièrement du paradigme « orienté usages » du monde anglo-saxon, notamment pour comprendre les trouvailles ou la sérendipité des acteurs en situation (Van Andel, 2005), nous souhaitons donc mettre en évidence la nécessité d’un nouveau cadre théorique « centré activité », émergeant peu à peu des différentes recherches actuelles. Ce nouveau cadre théorique proposé doit alors s’accompagner de nouvelles méthodologies et d’outils d’analyses pour étudier ces pratiques. Nous présenterons ci-dessous deux exemples réalisés dans le cadre d’une activité financière.

1. LE PARADIGME « ORIENTÉ USAGES » ET PERSPECTIVES

1.1. Présentation de ce paradigme

Le paradigme « orienté usages » est un cadre théorique et méthodologique ouvert, apprécié par la communauté scientifique en science de l’information, puisqu’il permet de décrire les pratiques d’accès à l’information de tout à chacun. Peu de travaux avant la naissance de ce paradigme ont porté sur l'échange, le transfert, la recherche et l'utilisation de l'information. Ce paradigme dominant en science de l’information, s’est progressivement constitué autour d’un vocabulaire commun et de principes d'actions identiques, dont notamment le principe de décomposition par étapes, admis par l’ensemble de la communauté scientifique, qui permet de décrire et d’analyser dans le détail les principales pratiques de recherche et d’utilisation de l’information des professionnels.

Enfin pour pouvoir comprendre comment les acteurs conçoivent et gèrent des produits financiers, nous nous interrogerons sur les mécanismes cognitifs, psychologiques et sociaux de ces professionnels. Plusieurs approches ont été très utilisées dans ce paradigme. Nous pouvons citer l’utilisation de l’approche sociale empirique, de l’approche de psychologie cognitive ou de création de sens (Dervin, 2003) ou encore l’approche de psychologie sociale.

1.2. Principales définitions

Ce paradigme a permis l’émergence d’un consensus sur un certain nombre de définitions dont les notions de pratiques de recherche, de pratiques d’utilisation et de pratiques d’accès à l’information. Et nous ne pouvons pas nous désintéresser de cette richesse sémantique (1) :

La pratique informationnelle « peut être considérée comme l’ensemble des actions et des choix de l’individu lors d’une phase de recherche d’information provoquée par un besoin d’information ». (Sarméjeanne, 2001). Comme le précise Wilson (2000) ces actions et ces choix peuvent être actifs et / ou passifs, conscients ou non et toujours liés aux différentes sources et canaux d’information. Ainsi cette définition peut inclure la communication de face-à-face, ainsi que la réception passive d’information comme le fait de regarder de la publicité à la télévision sans aucune intention d’agir sur l’information reçue (2).

La macro-pratique de recherche d’information (Information Seeking Behaviour ou I.S.) c’est l’ensemble des actions et des choix intentionnels d’un individu en matière de recherche d’information en réponse à un besoin d’information. Dans la course à la recherche d’information, l’usager peut interagir avec des systèmes d’information manuels (comme des journaux ou des bibliothèques) ou avec des systèmes informatiques, comme le World Wide Web. (Wilson, 2000) (3).

La micro-pratique de recherche (ou repérage) d’information (Information Searching Behaviour) est une micro-pratique, mise en œuvre par le chercheur d’information en interagissant avec le système d’information médiatisés ou non. Ces pratiques sont constituées par l’ensemble des interactions avec le système d’information, soit à un niveau interactionnel entre l’homme et la machine (par exemple utilisation de la souris ou des clics sur des liens), soit à un niveau plus intellectuel (par exemple adopter une stratégie de recherche booléenne ou déterminer des critères pour choisir entre deux livres intéressants sur une étagère de bibliothèque) sur la base de choix cognitifs des usagers comme le jugement sur des données pertinentes ou sur des résultats de recherche documentaire (Wilson, 2000) (4).

La micro-pratique de repérage d’information documentaire (ou de recherche documentaire) (Information Retrieval Behaviour IRB) : est une micro-pratique de repérage d’information avec l’aide de systèmes d’information médiatisés, afin de repérer des documents pertinents dans des bases de données ou sur internet / intranet, et en servant de méta-données au sein de ces bases de données.

La pratique d’utilisation de l’information (Information Use Behaviour) est l’ensemble des actions et des choix, permettant d’enrichir les connaissances et les savoirs d’une personne à partir de l’information trouvée. Ces actions peuvent prendre la forme par exemple d’une annotation d’un texte en fonction de l’importance ou de la signification des différents paragraphes ou sections et ces choix peuvent permettre de comparer les informations déjà connues et les informations trouvées (Wilson, 2000) (5).

La pratique d’accès à l’information (Information Seeking and Use Behaviour ISU) est l’ensemble des actions et des choix des acteurs mis en œuvre pour la recherche et l’utilisation de l’information.

Figure 1 : Le modèle en oignon de Wilson (1999, p. 252)

1.3. Principales représentations des pratiques d’accès à l’information

Le point de départ des user studies est le suivant un utilisateur individuel d'information s'engage dans un comportement de recherche d'information en réponse à un besoin perçu. Le concept de besoin semble être très difficile à traduire en termes de recherche alors que le concept de pratique de recherche d'information information-seeking behaviour est une activité (information related activity) identifiable, observable et pouvant être (dé-)construite (voir la figure n°1). Le professionnel pressent un besoin, mais il ne peut pas toujours le définir ou savoir qu'il en a l’utilité, Wilson (2000).

Figure 2 : Le modèle de Wilson de 1981 (1999, p. 252)

Ellis et Haugan (1997, p. 395) recensent huit étapes principales : initialisation ou démarrage de la recherche (starting), exploration et enchaînement (chaîning), différentiation des sources d'information (differentiating), extraction (extracting), vérification de l'information (verifying) et recherche finale. Deux étapes intermédiaires peuvent être utilisées à savoir l'utilisation de recherche dirigée ou navigation (browsing) et la veille ou surveillance (monitoring). Tandis que Kuhlthau ne trouve que 6 étapes (reconnaissance du problème, identité et formulation de ce problème, rassemblement d'information, présentation et évaluation de l'information). Voir la figure n°3 ci-dessous :

Figure 3 : Le modèle d'Ellis et le modèle ISP (Information Search Process) de Kuhlthau

Selon les travaux de Bernhard (1998, p. 7), près d’une dizaine de modèles de recherche d’information existent et le nombre d’étapes fluctue de 3 à 9 étapes. (dont le modèle d’Irving et Marland, d’Eisenberg et Berkowitz, d’Herring et différentes associations). Sans parler du modèle EST (Évaluation, Sélection, Traitement), que nous décrit Morizio (2002, p.75). Ces modèles sont essentiellement destinés à rendre compte des pratiques de recherche d’information appliquée, soit à l’enseignement primaire et secondaire, soit à l’enseignement collégial et supérieur. Seuls Tenopir (2004), Case (2002) et Cheuk (1999) ont retenu notre attention, car ils ont étudié d’autres professions tels que les ingénieurs et les architectes.

Nous devons parler surtout des travaux de Cheuk (1999), qui a travaillé avec le monde professionnel dans trois contextes de travail différents : Huit ingénieurs « qualité », huit auditeurs (ou commissaires aux comptes) et huit architectes ont été ainsi interrogés, ils travaillaient tous à Singapour. Cheuk constate alors que les situations de « recherche et d’utilisation d’informations » (ou RUI) sont au nombre de dix situations différentes :

  1. La tâche initiale : c’est une situation où les ingénieurs s’aperçoivent qu’il y a une tâche à accomplir, qu’un besoin se « fait sentir ».
  2. La formulation centrale : les ingénieurs perçoivent qu’ils doivent obtenir une meilleure compréhension des problèmes qu’ils ont dans leurs mains, c’est-à-dire décider, dans quelle zone spécifique, ils peuvent agir.
  3. Le choix de l’idée : dans cette situation, les ingénieurs commencent de se faire une idée sur les problèmes à résoudre. Pour s’assurer que l’idée est bonne, ils vont chercher toutes les réponses possibles et évaluer toutes les réponses, une à une.
  4. La confirmation de l’idée : dans cette situation, les ingénieurs vont déterminer une idée, par exemple de ce qui a causé un échec pour un nouveau produit. Et ils essaieront de vérifier que l’idée émise est la bonne. Il pourrait y avoir alors plusieurs bonnes idées retenues, et la vérification ne pourra être réalisée qu’avec le concours de plusieurs personnes simultanément, lorsque cela est possible.
  5. Le rejet de l’idée : dans cette situation, les ingénieurs peuvent découvrir des idées conflictuelles, ou ils ne peuvent pas obtenir les informations requises pour confirmer leurs idées.
  6. La finalisation de l’idée : dans cette situation, le but des ingénieurs est de chercher un consensus formel et d’obtenir des informations complémentaires pour confirmer et finaliser leurs idées.
  7. La mise en chantier de l’idée : dans cette situation, les ingénieurs présentent leurs idées à une audience déterminée avec différents objectifs définis. À partir des idées réunies, les ingénieurs vont faire passer leurs idées.
  8. La mise au point du projet : les ingénieurs ont besoin de rechercher des informations supplémentaires pour réaliser le projet envisagé.
  9. La recherche d’approbation : les ingénieurs recherchent des approbations officielles pour continuer leurs travaux.
  10. La situation d’attribution d’approbation : les ingénieurs ont besoin de rechercher de l’information avant de recevoir l’approbation d’autres personnes.

Cependant, il faut remarquer que les ingénieurs ne suivent pas de schémas séquentiels spécifiques et peuvent passer d’une situation à une autre sans ordre préétabli, à condition toutefois de connaître l’autonomie effective (élaboration de ses propres règles d’actions) ou allouée (espace discrétionnaire d’action, imposée de l’extérieur) des acteurs. C’est ce dernier modèle qui retiendra notre attention pour décrire des pratiques d’accès à l’information.

Ce n’est qu’à partir de cette base commune, que les chercheurs ont développé différentes représentations des pratiques d’accès à l’information, comme le micro-modèle de Bates ou le macro-modèle de Wilson (voir ci-dessous).

Figure 4 : Le micro-modèle de Bates avec les différents modes de recherche d'information (2002)

La recherche directe et active, que nous pourrions nommer « repérage », essaie de répondre aux questions que nous nous posons ou de comprendre un sujet particulier. Ce mode de recherche, pour Bates (2002), est peu usité pour l’utilisateur lambda.

La veille est complémentaire à un autre mode de recherche la « navigation », même s’ils sont opposés. La veille est réalisée de façon directe et passive. Les personnes restent en alerte sur des sujets qui les intéressent et se contentent de rester informés (« maintaining current awareness »). Généralement l’environnement social et physique est arrangé pour que l’information parvienne au moment opportun (Hutchins, 2000).

La navigation (browsing) est un mode de recherche indirect et actif. Ici nous n’avons pas de besoin précis ou d’intérêt, mais nous cherchons activement de nouvelles informations (la curiosité peut conduire à ce mode de recherche).

La conscience est un comportement passif et indirect. Une grande partie (80%) de ce que nous connaissons provient du fait d’être simplement conscient. Comme le suggère Sandstrom, les personnes cherchent avant tout à réduire leurs efforts de recherche.

Le macro-modèle de Wilson est davantage général et regroupe les principales représentations théoriques des pratiques informationnelles et d’accès à l’information (notamment le modèle de Kuhlthau et d’Ellis) :

Figure 5 : Le macro-modèle de Wilson

Les différents modèles de Wilson de 1981 et 1996 s’appuient sur d’autres disciplines, comme la psychologie. Premièrement, le besoin d'information secondaire émerge à partir de besoins basiques (physiologiques, cognitifs ou affectifs), dépendant de la personne, son travail ou son environnement (politique, économique, etc.). Deuxièmement, dans son effort de recherche d'information, le chercheur est gêné par différentes barrières ou « variables intervenantes ». Enfin, différentes théories expliquent certaines pratiques constatées, comme la débrouillardise (théorie du stress / chaperon), l’utilisation de certaines sources par défaut (théorie du risque / récompense), et l’adaptation de son comportement pour réaliser avec succès une tâche (théorie de l'apprentissage social et du « self-efficacy »).

Ce macro modèle ne se concentre pas uniquement sur la recherche active du comportement informationnel mais plus globalement sur les pratiques d’accès à l’information. (ainsi la personnalité de l’acteur peut inhiber ou au contraire aider la recherche d'information). Ainsi ce modèle peut servir comme source d'hypothèses à vérifier, même si elles sont implicites. Cependant, ce modèle n'est pas complet. Les effets du contexte sur la personne ou sur sa motivation sont peu précis. C'est un méta-modèle, pas un modèle d’activité. Néanmoins, utiliser ce modèle dans un contexte professionnel pourrait être intéressant.

Enfin, d’autres modèles de recherche d’information médiatisée plus spécifiques pour internet ont été développés. Nous citerons ainsi le modèle cognitif d’Ingwersen (1992), le modèle épisodique de Belkin (1985), d'interaction stratifiée de Saracevic (1996). Les travaux de Marchionini (1995) complètent cette approche.

1.4. Critique et faiblesse du paradigme « orienté usages »

Suite à cette présentation, nous voyons trois principales critiques à ces modèles d’accès à l’information développée dans le cadre de ce paradigme : les méthodes, les résultats et les finalités de ces différents travaux de description, ne sont pas identiques. Ainsi concernant les finalités, Ellis s'intéresse davantage aux différences entre pratiques de recherche observables sur le terrain et Kuhlthau s’intéresse surtout à l'analyse des pratiques d’un point de vue plus psychologique et introduit l’analyse des sentiments dans ce processus. De même ces travaux s’appuient sur des corpus très différents les uns des autres.

Ensuite ces travaux décrivent soit des « pratiques d'accès à l’information » (Wilson, 1999), soit des pratiques de recherche, de repérage ou d’utilisation de l’information, soit des pratiques de recherche médiatisée et en particulier de « recherche documentaire » (Ingwersen, 1992). Une nouvelle approche théorique et méthodologique plus centrée sur le monde professionnel est nécessaire. Ces descriptions nous interrogent sur le nombre exact d’étapes nécessaires pour effectuer une recherche d’information : les modèles de Ellis (8 étapes), de Kuhlthau (6 étapes), de Tenopir (8 étapes), ou de Cheuk (10 étapes) sont là pour nous montrer la complexité de l’analyse et la difficulté d’arriver à des résultats uniques.

Par conséquent ce cadre large ne peut nous satisfaire puisque l’ensemble des modèles théoriques décrivant les pratiques d’accès à l’information sont plus ou moins analytiques et / ou descriptifs, presque toujours perçus comme linéaires et donc s’appuient sur des notions plus ou moins bien définies. Un problème majeur de ce paradigme « orienté usages » est bien entendu la définition des principales notions comme celle de « besoin d’information » ou « besoin informationnel » qui comme le souligne Le Coadic (1998) ou Kuhlthau (1997) doit être mieux défini pour pouvoir être utilisé correctement. Il est plus facile de définir des pratiques d’accès à l’information que d’appréhender les besoins. Vouloir baser son questionnement et son raisonnement sur ces modèles de pratiques d’accès à l’information ne nous semble guère pertinent. Il faut développer de nouveaux modèles qui tiennent compte de la réalité sociale et formuler d’autres hypothèses plus pertinentes.

2. PROPOSITION POUR UNE NOUVELLE APPROCHE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE

2.1. Précisions sur le « paradigme activité »

Comme nous l’a déjà bien expliqué Henneron, Metzger et Polity (1997), la science de l’information a bien évolué ces cinquante dernières années, en passant par plusieurs paradigmes successifs.

Jusqu’au début des années 80, les travaux sur les recherches documentaires en Science de l’Information se sont déroulés sous le paradigme classique orienté système.

Ensuite, durant la décennie des années 80, un nouveau paradigme a émergé : le paradigme cognitif orienté-utilisateur. L’utilisateur et son interaction avec le système d’information sont devenus le centre d’intérêt de ce nouveau courant. Ainsi comme le cite Polity (2001), « le système d’information est considéré comme un système de communication entre un producteur d’information ou auteur et un utilisateur ».

Enfin, dans les années 90, le paradigme social « orienté usages » est apparu. Le courant de recherche anglophone serait les user studies. Les travaux de Dervin (1999), Wilson (1999), Ellis (1997) et Le Coadic (1998) peuvent être rattachés à ce courant de pensée qui s’intéresse d’abord aux usages. Pour Chaudiron et Ihadjadene (2002), « le paradigme usager considère que l’attention doit être portée sur les besoins réels de l’usager et son environnement. [..] le point commun de ces différentes approches est de proposer une modélisation des usagers et de leurs comportements ». Reste à bien définir ce que l’on peut entendre par usages et usagers.

Dans les années 1999-2005, un nouveau courant de recherche se développe, que nous dénommerons « paradigme activité », où l’acteur, celui qui se trouve dans l’action et qui agit, doit être au centre de l’analyse. Mais il est trop tôt pour parler de paradigme au sens américain du terme, étant donné la faiblesse des travaux dans ce domaine, même si Choo (1998) ou Järvelin (2003) nous ouvrent cette voie de recherche. Ce courant de recherche fait appel aux avancées et aux concepts développés par différentes théories, notamment sociales (comme la théorie des cadre de Goffman), psychologiques (théorie de l’activité avec Leont’eev et Kuuti et qui est très présent dans le courant « Interaction Homme-Machine ») et cognitives (la théorie de la cognition distribuée ou située avec Hutchins ou de l’analyse du travail cognitif de Fidel). Les approches retenues sont donc plutôt majoritairement de type sociocognitif (Hjørland, 1997), pour pouvoir expliquer le processus de recherche et d’utilisation de l’information professionnelle. En effet, nous voulons nous intéresser non pas à l’utilisateur, mais à l’information que l’acteur cherche et utilise (Henneron, et al., 1997). Et dans un contexte professionnel, nous devons prendre en compte la situation de travail. Ce courant de recherche considère que l’activité influence plus ou moins directement les pratiques de recherche et d’utilisation de l’information. La principale hypothèse est que les actions de recherche des personnes sont fortement contraintes par leurs activités professionnelles (Cote, 1997).

L’activité est une construction sociale et économique, soumise à de nombreuses contraintes comme le temps ou l’expérience (novice ou expert). L’activité est donc dynamique et complexe. La notion d’activité est sans doute très proche de la notion de « cadre » de Goffman (2001). Et différentes situations d’interaction existent entre acteurs comme dans les situations de coopération et de coordination, qui ont un impact direct sur les pratiques d’accès à l’information des professionnels (voir les travaux de Järvelin (2003) et de Fidel (2004)).

2.2. Pratiques d’accès à l’information professionnelle et activités informationnelles

Redéfinissant les principales notions de ce nouveau paradigme, dénommé « activité », nous rajouterons que la pratique informationnelle « peut être considérée comme l’ensemble des actions et des choix de l’individu lors d’une phase de recherche d’information en vue d’une action, provoquée par les nécessités des situations, par certains états inadéquats ou anomalies de connaissance ou manques informationnels pour réaliser ces activités et enfin par les problèmes informationnels ou les facteurs clés de succès, issus du contexte socioprofessionnel au sens large (le manque d’information n’est pas forcement voulu, ni explicite alors que le problème est davantage apparent). À partir de cette définition, la pratique informationnelle est encadrée par l’activité (ici l’activité de conception et de gestion de placements financiers), par la situation donnée, et le contexte socioprofessionnel au sens large ». Car non seulement l’activité fait partie du contexte pour la pratique informationnelle, mais en plus, elles partagent toutes deux ce même contexte.

Le contexte pour Goffman (2001) est pluriel, une organisation peut être considérée sous l’angle « technique, en fonction de son efficacité ou inefficacité en tant que système explicitement organisé en vue d’atteindre des objectifs préalablement définis » (p.226). Il peut l’être aussi sous l’angle politique, structural, culturel et en utilisant l’approche dramaturgique.

Une situation sociale pour Goffman (1991), est « un environnement fait de possibilités mutuelles de contrôle, au sein duquel un individu se trouvera partout accessible aux perceptions de ceux qui sont « présents » et qui lui sont similairement accessibles. Selon cette définition, une situation sociale se produit dès que deux individus se trouvent en présence mutuelle immédiate, et se poursuit jusqu’à ce que l’avant-dernière personne s’en aille. [..] Des règles culturelles régissent la manière dont les individus doivent se conduire en vertu de leur présence dans un rassemblement [...] ». Et « Toute définition de situation est construite selon des principes d’organisation qui structurent les évènements - du moins ceux qui ont un caractère social - et notre propre engagement subjectif » (p.146-147).

Comme nous l’explique clairement Dessinges (2002), « la situation traduit une forme typique et stabilisée d’environnement qui organise l’action qui doit venir, à un moment ou un autre, s’y dérouler » (p. 100). Et cette situation est définie par l’organisation de l’expérience de chacun ou plutôt par les différents modes de structuration de l’expérience (nous parlerons alors de cadres).

Il existe différentes sortes de cadres primaires pour Goffman (1991), les cadres naturels, dictés par des évènements extérieurs aux personnes (un phénomène naturel comme un tremblement de terre). Et les cadres sociaux, qui dépendent d’une action pilotée, comme le cadre de la conception de produits. Nous pensons en effet, que l’activité de conception constitue un ou plusieurs cadres et non pas une situation car les cadres primaires organisent les activités. Comme le rappelle Goffman (1991), « chaque type d’action appartient en propre à un idiome spécifique qui relève lui-même d’un cadre distinct ». En l’occurrence, le concepteur assimile, par l’expérience, des représentations et des schémas d’interprétation particuliers sur le phénomène de la conception de produits financiers. Mais ces cadres primaires peuvent évoluer en fonction des interprétations. Soit sous forme de transformation ou modalisation (strate modèle et modalisée), soit sous forme de fabrication (qui désoriente l’activité d’un ou plusieurs individus).

Si nous restons dans cette perspective goffmanienne, nous émettons l’hypothèse que le besoin d’information n’est en fait que le résultat de la perception d’une transformation de cadres, dans une situation donnée. Par exemple, un concepteur de produits connaît la procédure de création d’un fonds commun de placement action et il doit maintenant créer un fonds commun de placement pour l’innovation. Il y a une transformation du cadre primaire de l’activité de conception, qui passe du cadre de conception d’un FCP à celui d’un FCPI. Le concepteur mobilise un cadre de recherche d’information spécifique qui a fait ses preuves pour les FCP. Mais ce dernier évolue du fait de la demande de création d’un FCPI, car l’activité encadre cette pratique. Le besoin d’information naît alors d’un changement de cadres.

2.3. L’activité informationnelle et l’information organisationnelle au cœur de ce paradigme

L’« activité informationnelle », nouvelle notion qu’introduit Guyot doit être prise en compte aussi dans ce contexte : « L’activité d’information recouvre à la fois la manière dont un individu agence pour son compte informations et documents et mobilise des ressources disponibles dans des dispositifs et à travers des outils de plus en plus nombreux ». (Guyot, 2001).

Cette « activité informationnelle » bénéficie de la base théorique des recherches en science de l’information, notamment en terme de pratiques d’accès à l’information (Wilson, 1999). Mais il faut s’intéresser non seulement à l’activité de recherche et d’utilisation de l’information pour une tâche isolée, mais aussi à l’ensemble des activités de gestion et de production d’information pour l’activité principale (Hjørland, 1997). Lorsqu’un objectif est atteint, l’activité continue. Les acteurs sont des producteurs, des gestionnaires et des consommateurs d’information dans le cadre de leurs activités professionnelles (Guyot, 2001). Et progressivement les acteurs rationalisent et standardisent les outils technologiques pour gagner en efficacité. C’est tout qu’il faut prendre en compte.

Reprenant l’analyse de Choo (1998) nous pensons que l’analyse de l’activité informationnelle doit non seulement prendre en compte les pratiques de recherche et d’utilisation de l’information, mais aussi les pratiques de gestion et de production de cette information nécessaire pour l’action (voir schéma ci-dessous).

En 1998, Choo a comparé les principaux modèles de pratiques d’accès à l’information et a décomposé ce processus d’accès en trois étapes centrales : le besoin, la recherche et l’utilisation de l’information. Et il a ensuite examiné les effets cognitifs, affectifs et contextuels de chaque étape en fonction des modèles.

Figure 6 : Analyse multidimensionnelle du besoin à l’utilisation de l’information (Choo, 1998, p.61)

Puis en 2001, Choo a développé le cube de « l’information organisationnelle » qui représente les principales étapes de la prise d’une décision pour un professionnel dans une organisation type, avec les différentes variables qui doivent être prises en compte. Un besoin d’information émerge chez un professionnel qui se trouve dans une situation professionnelle affective et cognitive donnée. Avec le temps et les moyens disponibles dont il dispose, il se lance dans des recherches d’information appropriées créant ainsi des savoirs pour une prise de décision ultérieure à l’aide de l’information recueillie et de nouvelles connaissances.

Figure 7 : Le cube de l'information organisationnelle

Cette approche doit tenir compte de l’évolution paradigmatique et notamment de « l’activité informationnelle ». En reprenant donc la définition de Guyot, nous proposons de prendre en compte non seulement toutes les étapes, qui se situent en amont de l’utilisation de l’information (du besoin à la recherche d’information) mais aussi tout ce qui est en aval, à savoir la gestion et la production d’information professionnelle. En outre, chaque professionnel se trouve dans des situations différentes (contexte professionnel, affectif, cognitif, social). Mais en outre lorsqu’il s’agit de chercher, d’utiliser ou de gérer de l’information, le professionnel est contraint par les choix technologiques de son entreprise (présence ou non de systèmes de gestion électronique de documents (GED) ou de processus métiers (workflow) adaptés) et aussi de méthodes personnelles de travail acquises au fil de l’eau, en fonction de son métier et de son environnement. Naturellement, il ne faut pas considérer ce modèle comme un modèle linéaire. À partir d’une recherche d’information, nous ne sommes pas obligés d’utiliser immédiatement l’information trouvée, nous pouvons simplement la gérer (la mettre dans une base de données par exemple). Ensuite, nous pouvons utiliser l’information immédiatement, pour produire un document, sans se soucier de sa gestion ou de sa conservation ultérieure.

Figure 8 : le cube de l'activité informationnelle avec les commentaires de Guyot

Des études précédentes ont déjà démontré l’influence directe de l’activité sur les pratiques de recherche et d’utilisation de l’information, dans certaines activités très encadrées. Par conséquent, nous proposons un nouveau modèle qui tient compte de la prépondérance de l’activité sur le besoin. L’activité professionnelle étant première, les besoins d’information découlent de cette activité (en dépit de Dervin, 2003). D’ailleurs dans la suite de notre présentation, nous nous intéresserons principalement à démontrer l’influence plus ou moins directe de l’activité de conception sur les pratiques d’accès à l’information de ces concepteurs, tout en tenant compte de leurs effets sur la gestion et la production de nouvelles informations.

Figure 9 : le cube de l'activité informationnelle globale

Ce dernier modèle (figure n°9) représente donc l’ensemble des activités informationnelles d’un professionnel en tenant compte du cycle de vie de l’information et de l’ensemble des contraintes informationnelles liées à une activité donnée (prise en compte du contexte professionnel, des états affectifs, cognitifs du professionnel, de ses relations sociales avec ses collègues et supérieurs et des dispositifs technologiques collectifs et personnels que ce dernier peut utiliser).

2.4. Une méthode adaptée pour analyser l’activité informationnelle globale

Comme le concède Deschamps, il n’y a pas en science de l’information de méthodologie unique, elle doit pouvoir utiliser des analyses quantitatives et qualitatives à la fois. C’est là sa force, mais aussi sa faiblesse, elle doit savoir les utiliser avec parcimonie.

« Pour résoudre la plupart des problèmes en science de l’information, il est parfois nécessaire d’avoir recours à deux types de méthodologies mais selon nous, c’est plus une force qu’une faiblesse pour la discipline. La science de l’information s’est appliqué depuis une dizaine d’années au moins, à tirer parti des possibilités d’améliorer les analyses quantitatives et qualitatives concernant les relations dynamiques qui unissent des collectifs d’objets au sein de diverses communautés et leurs modes de représentations graphiques (analyses des communautés, cartographies de recherches, etc...) dans un ensemble de recherches formalisées dans la scientométrie. »

La méthodologie utilisée dans cet article est fortement dépendante de notre cadre théorique et des postulats sous-jacents expliqués ci-dessus. Ce cadre théorique postule que l’activité de conception influence les pratiques d’accès à l’information des professionnels, ici en l’occurrence des concepteurs de produits collectifs. Nous pourrions même aller plus loin en nous demandant si l’activité de conception n’influence pas non plus toutes les « activités informationnelles » des professionnels, de la recherche jusqu’à la production d’information. Mais cela est une autre problématique que nous n’évoquerons pas ici.

Pour démontrer l’utilité d’une approche duale, nous présenterons succinctement la méthode APAI (Activité, Produit, Accès à l’Information), que nous avons utilisé lors de nos précédents travaux et qui se compose d’une double approche, en premier lieu une approche constructiviste et ensuite une approche analytique.

Étant donné que la méthode APAI (Activité, Produit, Accès à l’Information) est d’abord une méthode qualitative, il suffit d’avoir un corpus somme toute modeste pour entreprendre une recherche et pour comprendre les pratiques de recherche et d’utilisation de l’information (ou d’accès à l’information) des financiers. À titre d’exemple, nous pouvons citer deux études antérieures que nous avons menées sur les concepteurs de produits de placements financiers (produits collectifs et dérivés) et où nous avons rencontré une vingtaine de financiers. Nous présenterons d’ailleurs ci-dessous les principaux résultats.

Le questionnaire traditionnel, basé sur une approche constructiviste « Sense-Making » concerne trois problèmes majeurs :

  1. L’analyse de l’activité ;
  2. Le problème de l’accès à l’information (la recherche et l’utilisation de l’information) et plus globalement de la place de l’activité informationnelle au cœur de cette activité ;
  3. Les représentations des concepteurs sur les nouveaux services financiers ;

L’analyse analytique se compose de cinq étapes principales et concerne plus spécifiquement les relations entre le produit et l’accès à l’information :

  • Construction basique et schématique du produit financier avec les plus importantes variables. (Utilisation de la “ notice ” et du rapport de gestion) ;
  • Présentation de ce schéma aux financiers ;
  • Enregistrement du discours des financiers ;
  • Analyse du discours avec les autres commentaires de professionnels et modification en conséquence, du schémas du produit financier ;
  • Identification des pratiques d’accès à l’information des concepteurs.

La démarche consiste donc à construire une représentation basique, mais fonctionnelle du produit de placement financier puis ensuite de demander à des financiers de commenter ce schéma. Un enregistrement audio de leurs discours est recommandé, à défaut une prise de note rapide pourra suffire. Par la suite, nous réaliserons une analyse de discours et nous identifierons les pratiques d’accès à l’information de ces derniers.

Nous vous proposons ci-dessous de découvrir la première version utilisée pour construire une représentation basique du produit financier avec cinq caractéristiques principales (Caractéristiques Réglementaires, Administratives, Financières, de Fonctionnement, Commerciales). Pour nous, une caractéristique principale regroupe sous un même nom commun (nous pourrions même parler de rubrique) un ensemble d’éléments informationnels plus ou moins homogènes.

Figure 10 : schématisation du produit collectif de type OPCVM en cours de constitution (version 0.4)

Cette version initiale, qui n’a pas été validée par les professionnels, reprend simplement les principaux éléments présents dans un produit de placement collectif (de type OPCVM). Ces éléments sont tirés des descriptions des différentes notices d’information dénommées « notices AMF » (AMF pour Autorité des Marchés Financiers) et de divers prospectus commerciaux distribués aux investisseurs épargnants. Cependant cette première version n’est pas complète et ne peut servir que comme base initiale à notre travail d’analyse.

Au cœur de notre méthodologie de recherche APAI, les phases dites « de présentation et d’analyse du schéma basique » (ici la figure n°10) sont essentielles car elles nous permettent de déterminer les indices (ou éléments) informationnels susceptibles d’amener le (ou les) concepteur(s) à réaliser ses tâches (ici la conception d’un nouveau produit financier).

Le concepteur a sûrement défini depuis longtemps, un cadre stéréotypé ou un scénario général pour concevoir ce produit financier. La présentation de la description basique éveillera chez notre interviewé des réactions immédiates qui nous permettront d’améliorer notre schémas. Mais attention, il ne faut pas généraliser ce principe, ce n’est pas simplement ce cadre ou ce scénario linéaire qui le guidera, il construira surtout le produit financier à partir des indices informationnels découverts au gré de sa démarche, au sens sémiologique du terme.

En tout cas, le concepteur est fortement contraint par le cadre de son activité, que nous faisons apparaître ici. Au fur et à mesure que de nouveaux indices informationnels sont trouvés, le concepteur déclenche des phases de recherche et d’utilisation de l’information successivement, jusqu’à l’aboutissement d’un produit vendable, dont la décision de commercialisation dépendra de la direction. Il est donc important de bien définir ces indices informationnels pour comprendre les pratiques d’accès à l’information.

3. L’EXEMPLE DES CONCEPTEURS DE PRODUITS FINANCIERS

Cette proposition pour un nouveau cadre de réflexions théoriques et méthodologiques doit pouvoir être applicable et pouvoir être validé sur le terrain. L’exemple ci-dessous, qui veut être un résumé de plusieurs travaux entrepris précédemment et réunis ici, doit nous permettre de démontrer l’intérêt d’une telle approche.

3.1. Description de l’activité de conception des produits de placement financier

L’activité de conception de produits financiers est une activité complexe, que ce soit pour des produits collectifs ou des produits dérivés : Le paradigme « usage » ne nous aurait pas aidés vraisemblablement car elle se concentre plus sur une partie du travail du professionnel sans se soucier de toute son activité informationnelle globale.

- Si nous prenons le cas des produits dits collectifs de type OPCVM (Organisme de Placement Collectif en Valeurs Mobilières), l’activité est difficile à définir, il n’y a pas un « concepteur » unique mais un ensemble d’acteurs, issus de différentes entités, qui travaillent ensemble pour vendre des produits de placements collectifs, par exemple des sociétés d'investissement à capital variable (SICAV) ou des fonds commun de placement (FCP). En général, un promoteur et / ou un distributeur fait appel aux services d’une société de gestion (qui gère les actifs du fonds : article L. 214-25 du code monétaire et financier) et d’un dépositaire (qui s’assure de la régularité des décisions de la société de gestion : articles 214-16 et 214-26 du Code Monétaire et Financier) pour monter le nouveau fonds ;

- Si nous prenons le cas des produits dits dérivés comme la conception de bons d’option (ou warrants), puis sa commercialisation s’appuie là encore sur de nombreux acteurs des différents services de la banque (services de front office, de back office, commerciaux, direction, etc.) sont nécessaires pour pouvoir lancer de nouveaux bons d’options.

Pour pouvoir analyser correctement ces pratiques d’accès et ces « activités informationnelles » nous devons d’abord analyser correctement ces activités principales en utilisant alors le questionnaire qualitatif, qui se révèle être d’un précieux secours. Ainsi les relations entre les dépositaires, les promoteurs et les gestionnaires de produits financiers peuvent être expliqués et la circulation de l’information entre ces acteurs peut être mieux expliquée. De façon globale, nous avons rencontré quinze promoteurs et distributeurs, trois dépositaires, deux gestionnaires et quatre concepteurs de bons d’option (sur les six ou sept de la Place de Paris) pour pouvoir faire cette analyse et qui ont réellement répondu à notre enquête.

Dans le cas des produits dits collectifs, nous trouvons 5 étapes principales :

Étape 1 : Cette étape concerne le choix du produit et la stratégie générale pour la vente du produit collectif (nom, cible).
Étape 2 : Cette étape concerne le choix de la stratégie d’investissement et des différentes spécifications du produit financier.
Étape 3 : Cette étape concerne les dernières modifications en matière de communication et de réglementation (recherche des agréments).
Étape 4 : Cette étape concerne le lancement du produit (présentation aux commerciaux des promoteurs et distributeurs, vente auprès des épargnants).
Étape 5 : la dernière étape concerne la gestion du produit avec différentes options (possibilité de modification du produit avec l’aide d’une partie ou de l’ensemble des participants, qui étaient présents lors de la conception de ce produit).

Figure 11 : Les principales étapes de la conception d'un produit collectif

Comme le rappelle Broady-Preston and Hayward (2001), « In product launch decisions, both customer feedback and competitor data were deemed crucial », les souhaits des clients et les propositions des concurrents sont des données précieuses pour lancer de nouveaux produits.

« L’activité bancaire consiste à être attentive aux besoins des clients et à la réponse des concurrents. Il faut être capable de créer un produit similaire dans les mois qui viennent pour pouvoir répondre à ce besoin. Sur les marchés financiers, c’est la tendance du marché, c’est l’anticipation. Il faut être très réactif. Sur les autres domaines, cela résulte plus d’une perception de longue haleine ou un trou dans la gamme de l’épargne » (promoteur n° 3).

Or c’est généralement le promoteur ou le distributeur du produit qui connaît le mieux les besoins des clients. « Pour commercialiser un produit qui marche, il faut qu’il corresponde aux attentes des clients. Sur une vision globale, il ressort toujours une tendance » (promoteur n°4).

L’étape n°1 (de la figure n°11) est caractéristique de cet état d’esprit de recherche d'information tout azimut, permettant d’enclencher le processus de création d’un nouveau produit financier.

« La conception, c’est beaucoup plus qualitatif. Créer, cela ne sert pas (toujours). La clé, c’est l’information. Il y a deux moyens importants : il faut se tenir informé des différents produits existants et de l’actualité juridique, fiscale et concurrentielle » (promoteur n° 1).

Sans oublier les recherches sur les attentes et les besoins des clients : « Les informations liées au mode de vie sont pour moi importantes, notamment l’accélération en terme de changement » (promoteur n° 6).

Généralement le promoteur/distributeur utilisera plusieurs techniques de recherche telles que la lecture de la presse, les groupes de travail, etc.

« Le groupe de travail va décider de l’avenir du futur produit et de sa mise en place. [...] Un exemple d’activité habituelle du groupe. On peut disséquer la presse spécialisée ou regarder les études de marché sur la conception de tel ou tel type de produits » (promoteur n° 4).

D’autant que cette recherche n’est pas l’apanage uniquement des promoteurs/distributeurs. L’idée peut provenir aussi de la société de gestion, notamment s’il s’agit d’un produit plus technique.

« Généralement les idées viennent du service marketing vers l’Asset Management. Mais pour les OPCVM garantis, il s’agit d’un produit exotique, qui ne provient pas du service marketing mais du service OPCVM. [...] L’exemple du multi fonds provient d’un avantage fiscal : il s’agit d’un concept marketing plus d’une discussion avec la société de gestion » (Promoteur 5).

En tout état de cause, dans l’étape n° 2, le rôle du promoteur est limité et donc la recherche d’information est avant tout une recherche de compromis avec les autres services.

« La création du produit [le produit multi fonds] a été guidée par la fiscalité et le service marketing. Mais il a fallu regarder la concurrence et voir à quelle condition un tel produit pouvait être créé. (Il a fallu regarder la tarification et ne pas proposer la même chose) » (promoteur n° 5).

En revanche, dans les étapes n° 3 et n° 4, les promoteurs et distributeurs sont aussi actifs. Mais ils ne rechercheront pas les mêmes informations que dans les deux précédentes étapes et peut-être, auront-ils plus de point de repères pour agir (les sentiments d’incertitude diminueront au fur et à mesure de leurs actions).

Ils utiliseront essentiellement l'information recueillie et retravaillée par les autres acteurs (dépositaires, société de gestion, autres services) pour promouvoir le nouveau produit.

Par exemple pour l’étape n° 3 : « La durée de conception d’un produit est très variable (de deux semaines pour commercialiser un produit de la concurrence jusqu’à six mois). Une fois que le produit et sa tarification sont décidés, il faut rédiger l’offre préalable avec le service juridique. Il faut ensuite l’éditer (voir avec un éditeur). En d’autres termes, on doit travailler de façon parallèle (utilise la méthode PERT). Le délai COB est un bon exemple, l’éditeur qui imprime aussi. Tant que je n’ai pas tout, le produit ne peut être commercialisé » (promoteur n° 1).

Il y a alors une recherche d'information qui est menée. Mais elle s'effectue dans un contexte différent et est similaire à une recherche d'approbation (recherche des termes convaincants pour les futurs investisseurs du produit).

« Les autres intervenants travaillent une fois que le concept est défini (explique les points forts et faibles) et que nous avons décidé de faire un mailing et après intervient en conseil et en relecture » (promoteur n° 1).v

Concernant la phase 4, les promoteurs et/ou les distributeurs se mettront à l’œuvre pour vendre leur nouveau produit.

« Pour choisir les produits financiers, on produit d'une part la fiche technique des produits et d’autre part, une lettre trimestrielle qui est envoyée à tous les clients et tous les prescripteurs (par exemple notaires, experts comptables) » (promoteur n° 7).

Cette étape n’est pas la plus simple pour les promoteurs et distributeurs qui doivent persuader leurs clients d’investir dans ces nouveaux fonds, pas toujours éprouvés.

« Le problème est que l'on ne maîtrise pas un produit qui vient d'être créé. Il faut attendre pour un produit financier qui vient de sortir (pour qu’il fasse ces preuves) [...]D'ailleurs le fonds n'a pas marché tout de suite, il y a eu une période de gestion plus ou moins longue où il était difficile de savoir ce que cela allait donner. » (promoteur n° 7).

Enfin, les produits peuvent évoluer au fil de l’eau, suivant le type de produit. Et cela oblige alors les promoteurs et distributeurs à l’adapter. « Aucun produit n'est conçu pour sa performance (prévue), car il est vivant : sa caractéristique, c'est d'évoluer, il est en perpétuelle évolution » (promoteur n° 7).

De même pour l’analyse de l’activité de conception d’un produit dérivé tel que le bon d’option, nous décomposons l’activité en 4 grandes étapes, de la conception jusqu’à la vente de ces warrants.

Figure 12 : les différentes étapes de conception d'un produit dérivé

3.2. L’activité informationnelle au cœur de la conception des produits de placements financiers

Dans ces deux activités de conception décrite très brièvement ici, nous nous rendons compte que la conception de produits financiers passent par des nombreuses situations dont des situations autonomes, de coordination et de coopération :

  • La situation autonome : « La capacité et l’aptitude d’un acteur à élaborer ses propres règles d’actions » (Gilbert de Tersac et Erherd Friedberg).
  • La situation de co-présence pragmatique : « La mise en relation première entre deux (ou plusieurs) acteurs en quête d’un consensus pour réaliser en commun certains objectifs » (Gramaccia, Laborde et Maurin).
  • La situation de coopération avec un espace discrétionnaire : « Les acteurs peuvent choisir la solution mais dans un cadre de travail défini ” (Gilbert de Tersac et Bruno Maggi).
  • La situation de coordination établie : « Chaque acteur sait ce qu’il a à faire. ». En fonction donc des situations rencontrées sur le terrain, les pratiques d’accès à l’information des professionnels financiers s’adaptent aux situations et utilisent des stratégies spécifiques. Ils optent pour des stratégies principalement axées sur la recherche d’information (étapes 1 et 2), puis sur l’utilisation d’information (étapes 3 et 4). Enfin ils gèrent au fil de l’eau l’information (étape 5) en produisant des rapports mensuels et annuels à leurs clients.

Figure 13 : les situations d'autonomie, de coopération et de coordination pour la conception de produits financiers collectifs

3.3. Schématisation des produits de placement financier

Nous avons donc développé deux schématisations des produits financiers, pouvant déboucher sur la mise en place de langages de description financiers, très utile en informatique documentaire. La première description dénommée LPF (ou Langage des Produits Financiers) s’intéresse essentiellement aux organismes de placements collectifs (OPCVM) et la seconde LdBO (ou langage de description des bons d’option) aux bons d’option ou warrants. Considérant le produit financier comme un produit numérique et intangible, ces instruments auront deux avantages principaux pour notre étude :

  1. Ce sont des outils, qui fixent un cadre rigoureux pour l’élaboration de ces produits ou plus précisément de nouveaux produits financiers, comme des produits collectifs ou de produits dérivés. Ce sont des représentations formalisées, qui fixent avec une grande précision toutes les caractéristiques des produits financiers (produits collectifs et produits dérivés). Et permet de décrire la composante informationnelle du produit.

Par suite, ces instruments analytiques nous renseignent sur les informations recherchées au travers de commentaires précis des financiers à la vue du schéma LPF, décrits ci-dessus. Ces commentaires nous permettent en effet de ne pas oublier d’informations importantes dans le cadre de l’activité de conception de produits financiers et aussi de juger de l’importance ou de la prépondérance de certains éléments sur d’autres dans l’activité décrite. À titre d’exemple, nous vous présentons ci-dessous deux schématisations spécifiques aux produits financiers :

3.3.1. La schématisation d’un produit de placement collectif

Suivant la méthodologie appelée APAI (Activité, Produit et Accès à l’Information) décrite ci-dessus, auprès d’une vingtaine de financiers, nous avons pu améliorer notre premier schéma basique du produit collectif (figure n°10). Nous avons alors modifié le produit financier, en prenant en compte de nouveaux éléments prépondérants pour décrire ces produits. Nous avons proposé six caractéristiques principales en renommant les caractéristiques réglementaires en caractéristiques identitaires et en rajoutant des caractéristiques fiscales.

Ne pouvant mettre dans cet article l’ensemble des entretiens que nous avons recueillis sur le terrain, pendant plusieurs années pour notre thèse, nous nous contenterons seulement de certains commentaires très significatifs qui ont permis de faire évoluer favorablement la description du schéma pour les produits collectifs :

- En premier lieu, nous trouvons les caractéristiques administratives, qui s’intéressent exclusivement à la vie du produit (avec la réglementation en vigueur, le descriptif du fonds, le type de fonds, l’agrément, la date d’échéance, la clôture de l’exercice par exemple).

« Il faudrait mieux rajouter dans les caractéristiques administratives, la réglementation » (Dépositaire 1).

- Ensuite nous trouvons les caractéristiques identitaires, c’est à dire les principaux acteurs intervenant dans le processus de création et de gestion des produits de placements collectifs, avec le promoteur, le distributeur, la société de gestion (qui gère l’argent du fonds) et le dépositaire, le conservateur et le commissaire aux comptes.

« Pour moi, il y a vraiment trois grands [responsables]…. Il y a le dépositaire, le gestionnaire et le distributeur » (Dépositaire 1).

- Ensuite les caractéristiques financières décrivent le fonctionnement du fonds (description du placement, classification, techniques) et le type de valeurs (composition du portefeuille, zones géographiques, exposition aux risques, affectation des résultats).

« Dans les caractéristiques financières, la seule chose est que je voyais, c’est le rapport exercice. Je l’aurais mis ailleurs dans l’administratif » (Dépositaire 3).

- Les caractéristiques de fonctionnement décrivent l’ensemble des conditions d’exécution, des conditions de souscription, des conditions de rachat, le rapport exercice, et la périodicité de calcul de la valeur liquidative, ainsi que le libellé de la devise du fonds.

- Ensuite les caractéristiques commerciales concernent essentiellement la politique de gestion, les actifs gérés, la valeur liquidative, la durée minimale conseillée, l’apport des titres, la commission de souscription, la commission de rachat, les frais de gestion, les performances, et les souscripteurs.

« Concernant les frais de gestion nous avons des frais de gestion variable et des frais de gestion fixe. En outre, les méthodes de calcul des frais de gestion sont variables entre chaque produit ». (Dépositaire 2).

- Enfin, les caractéristiques fiscales rappellent simplement la fiscalité qui s’applique aux différents produits financiers commercialisés, et les principales modalités d’imposition sur les revenus et sur les plus-values.

Produit Financier [Caractéristiques Identitaires, Caractéristiques Administratives, Caractéristiques Financières, Caractéristiques Fonctionnement, Caractéristiques Commerciales, Caractéristiques Fiscales]

- Caractéristiques Administratives [Réglementation, Identification, Fonds, Agrément, Date de création, Échéance, Édition de la notice, Clôture de l’exercice, Centralisateur]

- Caractéristiques Identitaires [Promoteur, Distributeur, Dénomination, Forme juridique, Société de gestion, Dépositaire, Commissaire, Conservateur]

- Caractéristiques financières [Description du placement, Politique de gestion, Actifs gérés, Classification, Techniques, Indice de référence, Composition du portefeuille, Zones géographiques, Exposition aux risques, Affectation des résultats, Capital Garanti, Ratios, Performances]

- Caractéristiques de fonctionnement [Conditions d’exécution, Conditions de souscription, Conditions de rachat, Rapport exercice, Périodicité de calcul de la valeur liquidative, Libellé devise]

- Caractéristiques Commerciales [Valeur liquidative, Durée minimale conseillée, Apport des titres, Commission de souscription, Commission de rachat, Frais de gestion, Souscripteurs]

- Caractéristiques Fiscales [Fiscalité, Éligibilité, Imposition revenus, Imposition Plus-values]

Figure 14 : Schématisation d'un produit collectif de type OPCVM

3.3.2. La schématisation finale d’un bon d’options (warrant)

Nous avons procédé de même pour décrire un bon d’option sous la forme de 6 caractéristiques principales : administratives, réglementaires, financières, de fonctionnement, commerciales, fiscales (pour plus de détails sur la méthode, voir mes travaux antérieurs).

- La partie réglementaire signale la dénomination du produit, sa forme juridique, son identification et la réglementation qui entoure la conception des produits dérivés ;

- La partie administrative précise la date et le numéro d’agrément du produit, la date d’émission du produit et de la notice d’information, l’échéance du produit et sa durée de vie ;

- La partie financière concerne la description du produit dérivé, avec les techniques employées, le type et la composition du sous-jacent, l’exposition aux risques, et les souscripteurs ;

- La partie du fonctionnement du produit dérivé rappelle brièvement les conditions d’exécution et de souscription, les quotités de négociation et la date de l’exercice ;

- La partie commerciale précise la politique de gestion, les cours offert et demandé, le spread, le prix d’exercice, la valeur intrinsèque, la durée conseillée, l’apport des titres, la parité, l’effet de levier, les frais de courtage, la devise, l’élasticité, le delta, le thêta, le gamma, le vega, le rho, le gearing, le point mort, le premium et la valeur temps du produit ;

- La partie fiscale rappelle la fiscalité de ce type de produit et le mode d’imposition.

3.4. Identification des pratiques d’accès à l’information des concepteurs de produits de placement financier

Par suite, et avec l’aide des commentaires des financiers recueillis sur le terrain, nous pouvons décrire les pratiques d’accès des trois principaux acteurs (promoteur, gestionnaire et dépositaire), qui sont très liées les unes par rapport aux autres du fait de cette activité. Il est possible à l’aide du descriptif détaillé ci-dessus (le langage de description des produits financiers ou LPF), du moins partiellement, de faire apparaître dans le tableau ci-dessous, les situations de recherche et d’utilisation d’information de chaque acteur (les 10 situations d’accès à l’information décrites par Cheuk (1999)) par rapport aux zones de coopération et de coordination du projet (décrites par de Tersac et Maggi).

Les stratégies des acteurs vont donc dépendre de ces situations d’accès à l’information rencontrées sur le terrain et de ces zones de coopération et de coordination qui ne peuvent donc pas être totalement négligées.

Figure 15. : Les différents caractéristiques, les situations d’accès à l’information et les zones de coordination et de coopération dans la conception d’un produit financier

Ce tableau est censé reproduire le cheminement de pensée des acteurs (ici nous pouvons prendre le cas des dépositaires), lorsqu’ils doivent construire un produit financier. En d’autres termes, nous précisons ici les situations d’accès à l’information, que les dépositaires rencontrent dans leurs recherches d’éléments, dans les principales caractéristiques du produit.

Et nous voulons clarifier la relation entre les acteurs dans le processus de recherche. Par exemple, le dépositaire recherche l’approbation auprès des autorités, en demandant un agrément pour commercialiser le produit de placement financier. Les dépositaires se trouvent alors dans une situation de choix (pour s’assurer de l’obtention de l’agrément) et de recherche d’approbation (en cas de demande d’agrément du produit par l’administration) et aussi de situation d’attribution d’approbation.

Les zones de coopération et de coordination reposent quant à elles sur des zones d’actions délimitées par les lois, les règles, les sociétés, les pratiques, etc. Nous pouvons prendre comme exemple le cas de la périodicité de calcul de la valeur liquidative :

« Nous avons des marges de manœuvres. Si la société est au-dessous des 100 millions de francs, alors la périodicité peut être choisie. La périodicité dépend de la taille de l'actif du fonds » (dépositaire n° 3).

Il en est de même pour les produits dérivés où les pratiques d’accès à l’information des émetteurs sont très liées à l’activité de conception. Il est possible à l’aide d’une schématisation détaillée, du moins partiellement, de faire apparaître les situations de recherche et d’utilisation d’information de chaque acteur par rapport à leurs niveaux d’autonomie vis-à-vis du projet.

Figure 16 : les principales caractéristiques du produit financier, les situations d’accès à l’information et zones de coopération et de coordination

L’activité de conception de produits collectifs ou dérivés agit donc bien sur les situations d’accès à l’information et donc modifie les pratiques et les stratégies informationnelles des professionnels. Comme nous le constatons dans ces deux exemples, le nouveau cadre théorique et méthodologique que nous venons de présenter est une réponse partielle à la description des pratiques d’accès à l’information professionnelle. Ces exemples prennent en compte davantage les aspects de gestion et de production d’information, qui sont présents dans notre modèle, ainsi que les différents dispositifs techniques collectifs et personnels, pour rendre compte des « activités et des pratiques informationnelles » des financiers. Mais nous pensons qu’il est nécessaire de réaliser de nouvelles études sur d’autres terrains pour pouvoir cerner cette problématique complexe.

4. CONCLUSION ET PERSPECTIVES

Cette recherche propose une nouvelle approche théorique et méthodologique, suite à l’évolution paradigmatique constatée dans les travaux actuels. Nous sommes en train de passer d’un paradigme « orienté usages », à celui d’un paradigme « orienté activité » lorsqu’il s’agit d’étudier des pratiques d’accès à l’information professionnelle. Ce travail souligne ainsi la nécessité de prendre en considération la spécificité de l’information professionnelle au sens large, qui dépend de l’activité des acteurs étudiés. Nous devons nous intéresser non seulement au processus d’accès à l’information (information seeking and use behaviour), mais aussi à l’ensemble des « activités informationnelles » dans lequel est placé notre acteur comme le rappelle Guyot (2001).

D’un point de vue théorique, le modèle de « l’activité informationnelle globale » doit mettre l’accent sur les informations indispensables à l’activité et au contexte professionnel. En d’autres termes comme l’a remarqué Järvelin (2003), les multiples dimensions du travail, symbolisées par les nombreuses relations existantes entre les différentes tâches de chaque activité, ainsi que les diverses dimensions documentaires absentes de la plupart des autres courants de recherche cités plus haut, doivent être prises en compte.

D’un point de vue méthodologique, ce modèle de « l’activité informationnelle globale » recommande l’utilisation de plusieurs méthodes qualitatives conjointes, plutôt de type sociocognitif, mais pas seulement, pour connaître précisément les activités informationnelles des professionnels. Il nous permet de comprendre le processus de la chaîne documentaire partant de la conception de documents, jusqu’à sa diffusion (cas des notices d’information dans le cas des bons d’option et des notices et des brochures publicitaires dans le cas de la conception de produits collectifs). L’utilisation conjointes de plusieurs méthodes qualitative de type APAI (Activité, Produit, Accès à l’Information), proposée ci-dessus doit nous permettre de mieux décrire les nécessités de cette activité et de comprendre la logique de l’acteur (on ne peut pas parler de besoin émergent, ni d’usager).

D’un point de vue pratique, ce modèle souhaite proposer une réponse partielle à la problématique de l’efficacité de l’accès à l’information professionnelle en envisageant une sélection des meilleures pratiques informationnelles pour une activité donnée. Il peut aussi permettre de réfléchir à une amélioration des systèmes d’information des organisations au niveau de la gestion électronique des documents ou des processus métiers, avec la mise en place de langages de description informatiques dédiés à ces activités et issus directement des schématisations.

En résumé, le modèle de « l’activité informationnelle globale », présenté ci-dessus, doit nous permettre de développer de meilleures représentations des pratiques d’accès à l’information pour une activité professionnelle donnée et une meilleure visibilité des « activités et pratiques informationnelles » au cœur de cette activité.

NOTES

(1) Nous prions notre lecteur de nous excuser pour la traduction délicate de certaines définitions anglo-saxonnes, certaines notions comme « to search » et « to seek », qu’il est délicat de traduire en français : nous avons pris d’ailleurs le parti de traduire arbitrairement le verbe « to search » par rechercher et « to seek » par chercher.

(2) Information Behavior is the totality of human behavior in relation to sources and channels of information, including both active and passive information seeking, and information use. Thus, it includes face-to-face communication with others, as well as the passive reception of information as in, for example, watching TV advertisements, without any intention to act on the information given (Wilson, juin 1999)

(3) Information Seeking Behavior is the purposive seeking for information as a consequence of a need to satisfy some goal. In the course of seeking, the individual may interact with manual information systems (such as a newspaper or a library), or with computer-based systems (such as the World Wide Web). (Wilson, juin 1999)

(4) Information Searching Behavior is the ‘micro-level’ of behavior employed by the searcher in interacting with information systems of all kinds. It consists of all the interactions with the system, whether at the level of human computer interaction (for example, use of the mouse and clicks on links) or at the intellectual level (for example, adopting a Boolean search strategy or determining the criteria for deciding which of two books selected from adjacent places on a library shelf is most useful), which will also involve mental acts, such as judging the relevance of data or information retrieved. (Wilson, juin 1999).

(5) Information Use Behavior consists of the physical and mental acts involved in incorporating the information found into the person's existing knowledge base. It may involve, therefore, physical acts such as marking sections in a text to note their importance or significance, as well as mental acts that involve, for example, comparison of new information with existing knowledge. (Wilson, juin 1999).

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Date de création : 31.08.2005