Par Amélie Courtin, Lucinda Pasche et Samia Swali
(Tiré de My Modern Met)
Notre projet de recherche du Master IS porte sur la question de la visibilité et de l’accessibilité de l’offre de documents numériques au sein de l’espace physique des bibliothèques. Ce projet arrivant à bout touchant après une année de recherches, nous vous faisons part non sans émotion de nos réflexions et de la preuve de concept que nous avons imaginée.
Ressources numériques encore en coulisses !
Selon l’OFS, la part du budget d’acquisition dédiée aux documents numériques est passée de 21% en 2004 à 62% en 2018 (OFS 2019). Or, malgré cet investissement important, les prêts de ces ressources restent encore faibles et concernent très peu d’usagers en Suisse. Ainsi, seulement 3% des usagers viennent dans les bibliothèques de la Ville de Genève pour y consulter des ressources numériques et 12% de manière occasionnelle (DCS 2017).
Notre hypothèse de travail est donc que ce manque de succès des ressources numériques et des ebooks en particulier, vient notamment du caractère immatériel de ces ressources. On ne les perçoit pas lorsqu’on parcourt les rayonnages des bibliothèques. Nous avons donc focalisé notre recherche sur l’étude et l’analyse de dispositifs existants permettant de rendre plus visible la collection numérique d’une bibliothèque dans l’espace physique de celle-ci.
Qu’entend-on par rendre visible ?
Il s’agit de matérialiser et de rendre “découvrable” les ressources numériques aux usagers qui ne les cherchaient même pas.
Selon Bates (2007), l’action d’explorer – en anglais to browse – comprend 4 actions itératives, considérées comme étant spontanées et intuitives dans le comportement de l’être humain:
- Balayer du regard un champ de vision
- Sélectionner un objet d’intérêt de ce champ de vision
- Examiner l’objet sélectionné
- S’emparer ou non de l’objet.
Il s’agit d’une véritable technique de recherche qui constitue une précieuse opportunité de découvrir des documents pertinents.
On observe alors qu’avec l’arrivée du numérique, tout un pan de la collection devient invisible et par conséquent, ce processus de recherche est complètement bouleversé.
Dispositifs passerelles : lever de rideau sur les ressources numériques
Ce bouleversement a conduit au développement de “dispositifs passerelles” permettant de joindre le monde physique et numérique. Ces dispositifs peu à peu déployés en bibliothèque depuis l’apparition du numérique sont présents sous différentes formes: QR codes, applications mobiles de réalité augmentée, écrans interactifs tactiles etc. Nous avons rassemblé différents dispositifs passerelles repérés dans les bibliothèques dans une grille permettant de les analyser et de comparer leurs fonctionnalités.
Notre analyse nous a permis de dégager une tendance centrale : très peu de dispositifs en bibliothèque donnent à voir les deux types de collections (physiques et numériques) de manière simultanée et surtout, sans action et connaissance préalable de l’usager. Ce constat nous a amené à proposer un dispositif permettant d’allier ces deux composantes essentielles selon nous: la superposition des collections et la préservation du comportement intuitif de recherche.
Le prototype inspiré d’Hololamp
Voici le dispositif que nous avons imaginé. Pour le présenter, nous avons choisi de nous placer du côté de l’usager et d’illustrer son parcours sous forme de bande dessinée. Cela nous a permis de mieux conceptualiser notre dispositif.
(Illustration du parcours usager en bibliothèque réalisé par nos soins, dessins par Lucinda Pasche)
La technologie utilisée est celle du dispositif de réalité augmentée spatiale Hololamp (startup française créée par Guillaume Chican). En deux mots, il s’agit d’un hologramme qui est projeté sur un espace physique de surface plane. Un capteur de mouvement intégré permet de repérer l’usager dans un certain périmètre et de détecter ses mouvements. Une interaction se crée alors et l’usager peut sélectionner, parcourir, balayer la collection d’items proposés par le dispositif holographique.
(Hololamp 2018)
Cette technologie nous a interpellée pour deux raisons:
- La possibilité de spatialiser la collection numérique, de la contextualiser dans les rayons physiques de la bibliothèque et de la rendre tangible ;
- La préservation du comportement naturel de recherche de l’être humain. Ce dispositif ne lui demande pas d’adopter une nouvelle attitude de recherche, ni d’apprendre à manipuler un nouvel appareil, une application. Surtout, il n’y a pas d’interface entre lui et la ressource directe : celle-ci apparaît devant lui et l’invite à l’exploration. Cela permet donc de focaliser son attention sur le but à atteindre qui est de chercher/trouver un ouvrage par exemple.
Par cela, elle optimise l’expérience usager et l’invite à découvrir simultanément les ressources numériques et physique de sa bibliothèque.
Pour conclure, cette technologie prometteuse demande encore bien des ajustements, notamment en ce qui concerne la richesse des métadonnées et la compatibilité des catalogues de livres numériques et de livres imprimés. Le dispositif passerelle que nous avons imaginé présuppose en effet que les livres numériques puissent être classifiés de la même manière que les livres imprimés. Or, pour l’instant, ces problématiques ne sont pas encore réglées et constituent un obstacle à la mise en œuvre du dispositif imaginé. Une nouvelle recherche pourrait toutefois y apporter de nouvelles pistes réponses.
Bibliographie
BATES, Marcia J., 2007. What is browsing – really ? A model drawing from behavioural science research. Information research [en ligne]. Octobre 2007. Vol. 12, N° 4. [Consulté le 3 août 2019]. Disponible à l’adresse : http://d-scholarship.pitt.edu/25116/2/paper330.html
DCS – Département de la Culture et du Sport de la Ville de Genève, 2017. Etude n°16.0465 sur les usages des bibliothèques du Département de la culture et du sport de la Ville de Genève – enquête auprès des usagers actifs et des non-usagers [en ligne]. [Consulté le 5 décembre 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.ville-geneve.ch/fileadmin/public/Departement_3/Rapports/bibliotheques-geneve-rapport-2017.pdf
HOLOLAMP, 2018. Future of Architecture with HoloLamp [enregistrement vidéo]. YouTube [en ligne]. 4 janvier 2018. [Consulté le 8 novembre 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=DgTcIwhK5zg&feature=youtu.be
OFS – Statistique suisse des bibliothèques, 2019. bfs.admin.ch [en ligne]. 2019. [Consulté le 3 août 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/culture-medias-societe-information-sport/culture/bibliotheques.html