La visualisation de données regroupe diverses méthodes de représentation graphique colorées et modernes pour représenter des ensembles de données complexes de façon simplifiée, didactique et pédagogique.
Cet extrait issu du séminaire Données, Information, Connaissance (Crausaz et al., 2020) m’a très vite rappelé un programme court que j’apprécie tout particulièrement, Datagueule.
Donnée, visualisation et narration tel est le triptyque de l’épatante émission transmédia[1]. Les thématiques soulevées ne sont pas très attrayantes pour un public qui rôde sur YouTube. Citons : la forte réduction du temps de sommeil depuis un siècle, la protection de la vie privée, la rentabilité quasi-inépuisable des brevets, le Big data, le foot business, l’armement, l’agriculture intensive, le désastre des routes migratoires, les traités de libre-échange, l’urgence climatique, la politique sécuritaire et carcérale, l’évasion fiscale, la monnaie et bien d’autres joyeusetés. Pourtant, en mettant ces chiffres, quelques éléments de contexte et la problématique en motion design c’est tout de suite plus digeste et plaisant. Cet art de donner vie à des éléments graphiques (typographies, formes, photos,…) grâce au mouvement permet de transmettre des messages forts, avec des dimensions pédagogiques ou ludiques. À cela s’ajoutent la narration et la scénarisation, indispensables à la qualité d’un film en motion design. Précisément, l’écriture est ciselée, le titre punchy jouant sur les mots, le montage chirurgical et les données valsent à 1000 temps afin de susciter notre curiosité et d’offrir une perspective de questionnement.
Lancé en 2014, Datagueule c’est :
- 100 épisodes en 7 saisons
- 566 000 abonnés sur Youtube
- 134 540 sur Facebook (dernière consultation le 6 novembre 2020)
- 2 à 4 jours d’enquête avec en moyenne 31 pages d’onglets ouvertes
- 2 jours d’écriture pour aboutir au script
- 6 jours de mise en image
- 1 journée pour l’habillage sonore et le mixage
- Environ 3 minutes 30 est la durée du clip en slow motion. Depuis 2016, une interview s’est ajoutée en seconde partie de l’émission.
Complexité et parti pris
« Représenter visuellement l’information est le moyen le plus sûr de transmettre un sujet complexe. Dans un monde où le temps d’attention est limité, il est nécessaire de développer des graphiques clairs et efficaces capables de porter votre message ».
(Lebelle, 2012)
Les trois créateurs de Datagueule, Sylvain Lapoix, datajournaliste, Julien Goetz, voix-off et Henri Poulain, réalisateur, aiment justement la complexité et ne reculent devant aucune difficulté pour expliquer leur sujet. Leurs intentions à l’égard de leur public sont de rechercher la nuance, faire réfléchir, engager la discussion, rendre attentif aux sources et donner les moyens de fouiller dans un corpus de données (Aschenbrenner, 2016).
Les auteurs se décrivent comme boulimiques, exigeants, révoltés, indignés. Les partis pris radicaux sont totalement assumés. Ce qui fait qu’un sujet est Datagueule ou non c’est le degré de révolte qu’il provoque. Ce sont les rapports de force qu’il met à jour et comment traversent-ils les différentes couches de la société (politique, économique, industrielle…). Dès lors, il y aura de matière à raconter cette histoire.
L’objectivité illusoire, les données ont un contexte de création, d’émissions, de réception, ainsi qu’un prisme de lecture lorsqu’on exploite le jeu de données. Au vu du contexte actuel de forte polarisation du débat, Datagueule peut être une alternative aux consommateurs de contenus de la fachosphère. De la même manière, ce travail de documentation du réel peut compenser le vide abyssal des éditorialistes, des titres de tribunes et chroniques.
« Les humains sont fortement habitués aux images et aux informations visuelles. Une représentation visuelle peut communiquer certains types d’information beaucoup plus rapidement et efficacement qu’une autre méthode. »
(Hearst 1999, 260)
Mettant en forme des données structurées, les vidéos de Datagueule se caractérisent par des pictogrammes, camemberts, diagrammes circulaires, timelines, treemaps, nuages de mots, cartographie, 3D ainsi que l’Isotype (Système international d’éducation par les images typographiques) créé en 1920 par le philosophe autrichien Otto Neurath et l’artiste graphiste allemand Gerd Arntz. Il s’agit d’un langage universel et non verbal au moyen d’icônes facilement interprétables (Fredriksson, 2015).
La websérie est accompagnée d’une page wiki.datagueule.tv, qui est un projet documentaire collaboratif, afin de suivre l’évolution d’un sujet et prolonger la réflexion qui recense les sources primaires et secondaires utilisées pour la réalisation de la vidéo. Le plus souvent ce sont des articles scientifiques, des articles de journaux, des monographies, des rapports de gouvernements et de parlements, des textes de loi, des sites spécialisés. En raison de la difficulté de traiter de certains sujets, les sources demeurent fragiles, le feedback des internautes étant le bienvenu pour corriger des erreurs de chiffres, de conversion, d’orthographes. Or, parfois ces commentaires peuvent être houleux comme ici ou ici. Ces deux propositions ont le mérite d’être argumentées à leur tour et de poursuivre le décryptage des données.
[1] Diffusée par France Télévisions (Nouvelles écritures) et produite par Premières Lignes et Story Circus.
Bibliographie :
ASCHENBRENNER, Claude, « Métiers de la donnée et de la visualisation : pourquoi un canevas ? », I2D – Information, données & documents, 2016/2 (Volume 53), p. 9-10. DOI : 10.3917/i2d.162.0009. URL : https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-documents-2016-2-page-9.htm
FEKETE Jean-Daniel, Boy Jeremy, « Recherche en visualisation d’information ou Dataviz : pourquoi et comment ? », I2D – Information, données & documents, 2015/2 (Volume 52), p. 32-33. DOI : 10.3917/i2d.152.0032. URL : https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-documents-2015-2-page-32.htm
FREDIRKSSON Sylvia, « Du design d’information à la visualisation de données : un enjeu de transmission de sens auprès de la société civile », I2D – Information, données & documents, 2015/2 (Volume 52), p. 36-36. DOI : 10.3917/i2d.152.0036. URL : https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-documents-2015-2-page-36.htm
HACHOUR Hakim, « De la fouille à la visualisation de données : un processus interprétatif », I2D – Information, données & documents, 2015/2 (Volume 52), p. 42-43. DOI : 10.3917/i2d.152.0042. URL : https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-documents-2015-2-page-42.htm
LEBELLE, Bernard. Convaincre Avec Des Graphiques Efficaces : Sous Excel, PowerPoint, Tableau … 2e éd.. ed. Livres Outils. Efficacité Professionnelle. Paris: Eyrolles, 2012.
Autres expériences :
Do Not Track : https://episode5.donottrack-doc.com/fr
Page spéciale Dataland : https://www.rts.ch/decouverte/sciences-et-environnement/technologies/dataland/
Emissions en lien avec les sciences de l’information:
Big data : « Données, données, donnez-moi ! » (EP.15) : https://wiki.datagueule.tv/Big_data_:_«_Données,_données,_donnez-moi_!_»_(EP.15)
Abreuvés de brevets (EP.22) : https://wiki.datagueule.tv/Abreuvés_de_brevets_(EP.22)
Privés de vie privées (EP.40) : https://wiki.datagueule.tv/Privés_de_vie_privée_%3F_(EP.40)
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