Une fois ou deux, elle avait jeté un coup d’œil sur le livre que lisait sa sœur ; mais il n’y avait dans ce livre ni images ni dialogues : « Et, pensait Alice, à quoi peut bien servir un livre sans images ni dialogues ? » [1]
Sans dispositif d’accès adapté, l’information peut manquer son public – autant que de manquer à son public. Un décalage existant entre les missions des services d’information et les réalités diverses des publics empêchés peuvent parfois faire voir le monde à l’envers. Alors que l’accès à l’information constitue un droit fondamental autant qu’un enjeux crucial, de nombreuses organisations ne parviennent pas à remplir la mission, faute d’identifier adéquatement les besoins réels des publics.
Dans le cas des publics empêchés, il faut développer une capacité à passer de l’autre côté du miroir, à adopter de nouvelles perspectives, pour identifier les transformations à mettre à l’œuvre. Sur la base d’une présentation donnée par des étudiant·es du Master IS ce semestre d’automne 2024[2], nous tâchons dans ce billet de parcourir certains obstacles et expériences faites. Nous évoquerons enfin l’émergence de nouveaux outils dans le but de garantir l’accès des usager·ères à l’information et plus généralement aux services proposés.
Droits, libertés et conceptions de l’information
La mise au point d’un service d’information implique d’identifier les besoins et de garantir un accès équitable à tout le monde. En premier lieu, identifier les besoins implique de connaître l’environnement notamment social, culturel, économique, géographique des usager·ères, mais également les facteurs individuels jouant un rôle dans l’interaction avec le service. Deuxièmement, puisque l’accès à l’information est un droit et qu’il faut le garantir de manière équitable, il est nécessaire de mettre en place des infrastructures humaines et matérielles adaptées. Enfin, la liberté intellectuelle d’accéder à la ressource implique également de mettre à disposition des collections qui reflètent la diversité des usager·ères, sans quoi il est plus difficile de parler d’inclusion.
Comprendre pour mieux accueillir
Les limitations d’accès peuvent être de l’ordre de l’accès physique aux services : détention carcérale, handicaps physiques, séjour en maison de retraite, situation d’isolement social. Il s’agit également des difficultés d’accès aux ressources : allophonie, handicaps sensoriels ou cognitifs. Les exemples donnés ici illustrent une partie des barrières pouvant être rencontrées, puisque les limitations d’accès peuvent se cumuler, impliquant une combinaison de solutions pour garantir l’accès : accueil, bibliobus, catalogue mobile, activités hors-les-murs (notamment en prison et en maison de retraite), livres avec gros caractères, livres audio, et de nombreux autres outils. Un exemple intéressant est fourni par le musée Ariana, qui a organisé l’exposition « Pas d’bol d’être en prison » avec des détenues de Champ Dollon en 2013[3]. En outre, ces dispositifs sont techniques autant qu’humains, nécessitant des moyens matériels mais également de former le personnel à l’accueil.
Évolution des services et des approches
Si face à ces enjeux, les services d’information intègrent diverses technologies d’assistance, le développement de nouvelles approches en sciences de l’information, en service design et notamment aussi l’émergence d’outils tels que le chatbot ouvrent de nouvelles perspectives. Les bibliothèques hors-les-murs et ateliers collaboratifs en médiation culturelle sont des exemples de dispositifs traditionnels régulièrement repensés pour être inclusifs. Aujourd’hui, la notion évolue conjointement à ces pratiques orientées public. Partant de la notion de handicap ou d’enfermement, « on a tendance à élargir la notion d’empêchement à celle de l’éloignement […] socioculturel à la culture et au livre »[4].
Du côté des outils techniques, les technologies d’assistance comme les lecteurs d’écran JAWS, les documents en braille et les audiobooks ont fait leurs preuves. Plus récemment, l’intégration de chatbots en bibliothèque ont permis de prendre en charge des activités de service au public longues et répétitives, ce qui n’était auparavant pas possible sans cette technologie. Les usager·ères ont la possibilité, en tout temps, de poser des questions simples au chatbot, soulageant ainsi considérablement les bibliothécaires qui peuvent consacrer leur temps à répondre à des demandes plus complexes[5]. En revanche, bien que l’utilisation d’IA génératives apporte une valeur ajoutée aux services, elle constitue un risque en termes de sécurité, confidentialité et biais discriminatoires qui doivent être en compte en amont de l’intégration.
Communication auprès des publics
Enfin, rendre un service accessible ne se limite pas à surmonter les barrières directes. Il s’agit aussi de participer à la promotion d’une culture d’inclusivité et d’ouverture, en concevant des espaces accueillants, qu’il s’agisse de diversité culturelle, linguistique ou sensorielle. Le chemin est long, sinueux, mais déjà abondamment emprunté, pour donner plus à voir encore les deux côtés du miroir.
Références
Photographie de couverture : Ellis & Walery, Domaine public, via Wikimedia Commons
[1] CARROLL, Lewis et PARISOT, Henri (traduction), 2022. Alice au pays des merveilles. Paris : Librio. ISBN 978-2-290-37411-5. p. 7.
[2] ABREU TEIXEIRA, Raquel et al., 2024. Gestion des services d’information. Haute école de gestion de Genève, Master en sciences de l’information, séminaires, Genève : Haute école de gestion, 2024.
[3] Ariana, Musée suisse du verre et de la céramique. L’art pour tous, tous pour l’art, 30 novembre et 1 décembre 2024 (Programmes complet et FALC) [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.musee-ariana.ch/art- pour-tous-musee-ariana-2024 [consulté le 9 janvier 2025].
[4] CALMET, Marie, 2004. Médiathèque, publics empêchés, publics éloignés : les enjeux d’un projet de service spécifique, Mémoire pour le diplôme de conservateur [en ligne], Lyon : Enssib. Disponible à l’adresse : https://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/845-mediatheque-publics-empeches-publics-eloignes.pdf [consulté le 9 janvier 2025]
[5] DIOUF, François Malick et MARONE, Reine Marie Ndela, 2024. Conception d’un « chatbot » pour soutenir les services d’information dans les bibliothèques universitaires. Journal of Information Sciences. Vol. 22, no 2, pp. 1‑25. DOI 10.34874/IMIST.PRSM/JIS-V22I2.41192.
Laisser un commentaire