Luciano Floridi est un théoricien de la philosophie de l’information et de l’éthique de l’informatique mondialement reconnu (Luciano Floridi 2018). Il dirige actuellement le Digital Ethics Lab à l’Université d’Oxford (Traldi 2018). Dans son ouvrage The 4th revolution: How the Infosphere is Reshaping Human Reality paru en 2014, il avance que nous sommes entrés dans une nouvelle révolution impactant radicalement l’humanité. Liée aux technologies de l’information et de la communication (TIC), ainsi qu’aux ordinateurs, cette quatrième révolution suit la révolution copernicienne, la révolution darwinienne et la révolution freudienne.
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Pour Floridi (2011), la science a deux manières de changer notre compréhension : extravertie (à propos du monde) ou introvertie (à propos de nous-mêmes). Dans cette quatrième révolution, les TIC et les ordinateurs sont en train d’exercer un changement profond de ces deux façons, affectant notre compréhension de nous-même et de notre rôle dans l’univers (Floridi 2010).
D’un côté, les nouvelles technologies ont apporté des opportunités et des bénéfices en termes d’éducation et de prospérité de la population, ainsi que de grands avantages économiques et scientifiques. Seulement, avec la nouvelle société de l’information, se présentent également de nouveaux risques et problèmes à résoudre, par exemple à propos de l’organisation d’une société équitable, de nos responsabilités envers les générations futures ou encore de notre compréhension d’un monde globalisé (Floridi 2010).
Le changement important apporté par la quatrième révolution est la formation d’un nouvel espace, l’infosphère, où nous sommes devenus des inforgs (informational organisms) interconnectés parmi d’autres. Nous partageons désormais un environnement informationnel avec des organismes biologiques et des technologies, qui sont des agents d’information au même titre que nous (Floridi 2010). Les inforgs peuvent ainsi être des individus, des entreprises, des organisations, des familles ou encore des bots (Cevey et al. 2018). Ils peuvent donc être artificiels.
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Selon Floridi, nous sommes ainsi en train de participer à une migration de l’humanité vers l’infosphère elle-même. A la fin de la transition, celle-ci ne sera plus un moyen de se référer à l’univers de l’information, mais un synonyme de la réalité (Floridi 2010). Cet état de fait pose des questions éthiques car la quatrième révolution concerne autant la moralité, l’identité et la quête de sens qu’elle ne concerne les technologies (Handy 2015). Floridi (2010) affirme que nous avons besoin d’une réelle philosophie de l’information. La métaphore que le philosophe utilise est celle d’un arbre, représentant la société de l’information, dont les branches se seraient développées de manière plus chaotique et rapide que ses racines conceptuelles, éthiques et culturelles.
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Le philosophe prédisait une entrée dans « l’ère du zettabyte » (Floridi 2010) et il avait raison : 44ZB de données seront créées pour 2020 (Inside Big Data 2017). Face à cette expansion, des inquiétudes se soulèvent, notamment sur la manière dont les données régissent nos sociétés : pourrions-nous être réduits à un amas de données ? Avec des ordinateurs qui pensent par eux-mêmes, sommes-nous en train de perdre le contrôle de notre monde ? (Handy 2015).
Luciano Floridi reste quant à lui globalement optimiste quant au futur de l’humanité (Traldi 2018). Il souligne que nous devons nous concentrer sur le contrôle que nous pouvons exercer sur l’usage des données, plutôt que de s’inquiéter de qui les possède. L’attention portée à une éthique de l’information est par ailleurs grandissante : «The more full of tech the world is, the more it craves for ethics. Because what matters is not figuring out whether or not we must be afraid of robots, but how to manage digital society in a coordinated manner» (Floridi cité par Traldi 2018). Selon lui, il est grand temps de s’occuper d’une gouvernance digitale globale qui est pour l’instant reléguée aux grandes compagnies possédant les données, pour qui seule la logique du profit compte. Nous avons un besoin pressant d’une politique correcte en la matière et d’un réel engagement à travailler sur un projet digital à l’échelle humaine, car Internet est un espace dans lequel une société entière se développe au niveau mondial, très rapidement et sans règles établies (Traldi 2018). Il devient urgent de penser à un cadre commun pour cette nouvelle société digitale. De plus, l’infosphère doit être considérée comme un espace collectif, préservé au bénéfice de tous afin d’éviter de générer ou d’agrandir des divisions géographiques, socio-économiques et culturelles. Dans la quatrième révolution technologique, to be is to be interactable (Floridi 2010).
Pour Floridi, tout le problème aujourd’hui est de s’assurer que l’humanité conserve un rôle important dans ce nouveau développement sociétal et qu’elle reste en contrôle de ce nouveau monde (Richmond 2016). Il serait donc grand temps que nos Etats se préoccupent de définir une politique digitale humaine concertée…
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Bibliographie
CEVEY, Matthieu, COURTIN, Amélie et PERRITAZ, Alex, 2018. Séminaire : Information – Données [présentation Prezi]. Support de cours : Cours séminaires, Master en Sciences de l’information, Haute école de gestion de Genève. 19 octobre 2018. [Consulté le 26 octobre 2018]. Disponible à l’adresse : https://prezi.com/p/u9tevnj46lnw/seminaire-information-donnees/.
FLORIDI, Luciano, 2010. Chapter 1 : The information revolution. In : Information, A very short introduction. New-York : Oxford University Press, 2010, 130 p. ISBN 978-0-19-955137-8.
FLORIDI, Luciano, 2011. TEDxMaastricht – Luciano Floridi – « The fourth technological revolution ». Youtube [en ligne]. 6 avril 2011. [Consulté le 26 octobre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=c-kJsyU8tgI.
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HANDY, Charles, 2015. The Seductions of the Infosphere. Harvard Business Review [en ligne]. 15 juillet 2015. [Consulté le 26 octobre 2018]. Disponible à l’adresse : https://hbr.org/2015/07/the-seductions-of-the-infosphere.
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TRALDI, Laura, 2018. Why technology needs ethics. In conversation with Luciano Floridi. Design@large [en ligne]. 10 octobre 2018. [Consulté le 28 octobre 2018]. Disponible à l’adresse : http://www.designatlarge.it/luciano-floridi-technology-needs-ethics/?lang=en.