Grandement popularisée par la campagne de Donald Trump en 2016, la notion de « fake news » s’est particulièrement répandue ces dernières années à travers internet et au-delà (Mason et al., 2018). Parfois traduits par infox en français, ces deux mots anglais désignent et dénoncent tout média diffusant des informations erronées dans le but de tromper ou de manipuler son lectorat. Même si la manipulation de l’opinion publique à travers des journaux est décriée et déjà bien comprise au dix-neuvième siècle, c’est surtout depuis la diffusion en masse d’informations à travers des réseaux en ligne et la récente transformation des médias vis-à-vis d’internet que le problème s’est considérablement intensifié (Mason et al., 2018, p. 3) : au vu du nombre d’informations que nous recevons quotidiennement, que ce soit sur un papier ou sur nos écrans, comment être sûr d’avoir accès à la vérité ?
De media literacy à information literacy
Cette capacité à distinguer le vrai du faux, d’apprendre à faire bon usage des nouvelles formes que prennent les médias est appelée dans la littérature scientifique media literacy, c’est-à-dire la compétence de chacun à « décoder, évaluer, analyser et produire à la fois les médias imprimés et électroniques. L’objectif fondamental de la media literacy est une relation d’autonomie critique avec tous les médias » (Aufderheide, 1993, p. 6, traduction et soulignement de l’auteur). Autrement dit, il s’agit de compétences intellectuelles que chaque individu possède lui permettant de mieux appréhender les médias.
Mais la notion de literacy ne se limite pas à ces derniers : aujourd’hui, certains chercheurs utilisent le concept d’information literacy pour décrire, dans un même ordre d’idée, la capacité des individus à comprendre et à évaluer une information (ACRL, 2016, p. 8). En effet, les infox ne se limitent hélas pas aux médias et se retrouvent partout à travers le web, ce qui complexifie grandement notre jugement : plusieurs études conduites récemment démontrent qu’un nombre considérable de personnes, notamment des étudiants, ont de la peine à évaluer une information, à comparer des sources ou ont tendance à ne considérer que celles qui confirment leurs idéologies politiques (Damico et al., 2018, p. 13). Ce problème se résout avant tout grâce à l’éducation et à la pédagogie, qui devraient d’avantage se concentrer sur le développement de l’esprit critique en lien avec l’utilisation des technologies informatiques (Lupien, P. & Rourke, L. E, 2021, pp. 63-65).
Vraies données, mais faux raisonnement
En effet, il n’est pas simple de distinguer le vrai du faux, surtout quand le faux… ne l’est pas entièrement! Prenons en exemple une vidéo YouTube de la chaîne américaine PragerU, créée par le républicain Dennis Prager, intitulée « Is There Really a Climate Emergency? ». Ici, une personne d’autorité, Steve Koonin, physicien et ancien sous-secrétaire du département de la science pendant l’administration de Barack Obama, nous démontre que le réchauffement climatique n’est pas aussi problématique que l’on veut nous faire croire, et qu’il est insensé de viser à la suppression de l’utilisation d’énergies fossiles. Si cette affirmation peut sembler erronée dès le départ, l’auteur s’appuie pourtant uniquement sur la science pour la déclarer : en effet, il soutient son propos en citant de véritables statistiques et des études scientifiques publiées par le Gouvernement américain et par les Nations unies, et conclut que le monde « ne va pas si mal ». Que devrait-on alors penser ? Le problème du climat est-il vraiment exagéré par la communauté scientifique ?
Comme l’indique un article de presse récent critiquant les idées de Steve Koonin, le problème vient en partie de l’interprétation que l’on porte à ces données : par exemple, ce dernier mentionne que « les vagues de chaleur aux États-Unis ne sont aujourd’hui pas plus fréquentes qu’elles ne l’étaient en 1900 » (traduction de l’auteur). Cette affirmation dépend entièrement de ce que l’on entend par « vague de chaleur », et reste fallacieuse : il est bien plus important de s’intéresser à leur intensité et à leur durée plutôt qu’à leur fréquence. Ainsi, même si l’information présentée dans la vidéo est peut-être bien vraie, elle ne permet pas de déduire que les conséquences du réchauffement climatique ne sont pas graves pour la planète (le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat publie régulièrement des rapports qui démontrent ce propos).
Repérer et remettre en question des informations falsifiées sur internet s’avère être une tâche particulièrement complexe, surtout lorsqu’une interprétation critiquable de véritables données est utilisée pour appuyer des idées ; la vidéo de PragerU compte aujourd’hui plus de huit cent mille vues, et des centaines de commentaires encensent son auteur. Alors, comment se protéger de telles pratiques ? Il existe de nombreux guides ou manuels en ligne pour apprendre à évaluer une information, qui proposent fréquemment trois réflexes importants : s’informer sur son auteur, vérifier son contexte de production et enfin comparer plusieurs sources pour avoir un regard plus large sur le sujet. Les informations présentes dans cet article sont-elles de qualité ? C’est à vous de trancher !
Références
Association of College & Research Libraries, 2016. Framework for Information Literacy for Higher Education [en ligne]. Chicago : ACRL. 11 janvier 2016. [Consulté le 9 novembre 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.ala.org/acrl/sites/ala.org.acrl/files/content/issues/infolit/framework1.pdf
AUFDERHEIDE, Patricia, 1993. Media Literacy. A Report of the National Leadership Conference on Media Literacy. Washington : Aspen Institute, Communications and Society Program. ISBN-0-89843-137-9
DAMICO, James S., BAILDON, Mark et PANOS, Alexandra, 2018. Media Literacy and Climate Change in a Post-Truth Society. Journal of Media Literacy Education [en ligne]. 27 novembre 2018. Vol. 10, issue 2, pp. 11-32. [Consulté le 9 novembre 2022]. Disponible à l’adresse : https://digitalcommons.uri.edu/jmle/vol10/iss2/2/
LUPIEN, Pascal et ROURKE, Lorna, 2021. (Mis)information, information literacy, and democracy. Journal of Information Literacy [en ligne]. Décembre 2021. Volume 15, numéro 3, pp. 56-81. [Consulté le 10 novembre 2022]. Disponible à l’adresse : https://ojs.lboro.ac.uk/JIL/article/view/PRA-V15-I3-4
MASON, Lance E., KRUTKA, Dan, et STODDARD Jeremy, 2018. Media Literacy, Democracy, and the Challenge of Fake News. Journal of Media Literacy Education [en ligne]. 27 novembre 2018. Vol. 10, issue 2, pp. 1-10. [Consulté le 9 novembre 2022]. Disponible à l’adresse : https://digitalcommons.uri.edu/jmle/vol10/iss2/1/
YOHE, Gary, 2021. A New Book Manages to Get Climate Science Badly Wrong. Scientific American [en ligne]. 13 mai 2021. [Consulté le 9 novembre 2021]. Disponible à l’adresse : https://www.scientificamerican.com/article/a-new-book-manages-to-get-climate-science-badly-wrong/
Source des images
Image mise en avant : RANKIN, Stuart, 2017. Vector of Fake News. Flickr [en ligne]. [Consulté le 11 novembre 2022]. Disponible à l’adresse: https://www.flickr.com/photos/24354425@N03/33278600636
Figure 1: GLACKENS, Louis M.. The yellow press. Library of Congress’ Public Domain Archive [en ligne].[Consulté le 11 novembre 2022]. Disponible à l’adresse: https://loc.getarchive.net/media/the-yellow-press-lm-glackens
Figure 2: Deux images téléchargées sur freesvg.org, consultées le 11 novembre 2022 et disponibles sous https://freesvg.org/thinker et https://freesvg.org/truth-with-magnifier
Figure 3: Image extraite de la vidéo suivante : PragerU, 2021. Is There Really a Climate Emergency? [enregistrement video]. YouTube [en ligne]. 25 octobre 2021. [Consulté le 09 novembre 2022]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=P19ywkobLX8
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