Le silence des documents et le bruit d’internet : le Brésil entre 1500 et 2018

Extrait du Miller Atlas (1519). Carte dessinée par : Lopo Homem, Pedro Reinel, Jorge Reinel et António de Holanda

 

Au commencement était la donnée : 55.13%.

55,13% est le score du nouveau président brésilien Jair Bolsonaro au deuxième tour des élections présidentielles brésiliennes qui ont eu lieu le 28 octobre 2018. Cette victoire a mis fin à une campagne particulièrement mouvementée qui semble chauffer encore les esprits.

Durant les mois qui ont précédé cette élection, le quotidien Brésilien La Folha de S. Paolo n’a pas épargné le candidat Bolsonaro. D’après la RTS, le journal « a révélé les fake news, ou fausses informations, diffusées durant la campagne ». De son côté, Bolsonaro a déclaré une semaine avant son élection que la Folha de S. Paulo est le plus grand [source de] fake news du Brésil. Par ailleurs, il n’était guère plus tendre le lendemain de sa victoire en ajoutant que « c’en est fini de la Folha de S. Paulo ».

Un peu plus au nord, un certain Donald Trump est connu lui aussi pour son rapport quelque peu conflictuel avec les données et les informations. D’après un article du Washington Post, le président américain a affirmé l’été passé qu’environ 80% des média est l’ennemie du peuple. C’est le même Washington Post qui suit Trump de près depuis son élection le 20 janvier 2017 et qui vérifie ses déclarations une par une en les présentant sur sa plateforme Fact Checker. Le 30 octobre, ce site internet a annoncé qu’ « en 649 jours, le président Trump a émis 6’420 déclarations [qui étaient] fausses ou trompeuses ». Un calcul rapide montre qu’il s’agit de plus de neuf fake news par jour, un chiffre qui peut donner le tournis.

On dit parfois que trop d’informations tue l’information. Néanmoins, je me suis toujours dit que, tant que l’information est bonne, fiable et de qualité, il suffirait de trouver le moyen de la filtrer ou de la trier. Avec de la fausse information, cela devient bien plus compliqué. Dans la chaîne de valeurs de la connaissance, les Fake News sont sûrement un maillon (très) faible, à moins que ça ne soit pas forcément de la robustesse de la chaîne dont il s’agit, mais de sa qualité. Autrement dit, une fausse information mènerait à une fausse connaissance ?

La question n’est pas sans conséquence en ce qui concerne les élections brésiliennes. D’après une étude conduite par Ideia Big Data et commandée par le mouvement Avaaz, 98,21% des électeurs de Bolsonaro interrogés ont été exposés à un ou plusieurs faux reportages concernant son rival, Fernando Haddad, et 89,77% ont estimé qu’ils étaient basés sur des faits véridiques. Si on croit cette étude, presque neuf citoyens brésiliens sur dix – parmi ceux qui ont voté pour celui qu’on surnomme « le Trump tropical » – n’auraient pas vérifié ses dires. Si l’information nous mène à la connaissance, et si cette dernière est la base de nos compétences, que dirait-on alors de la compétence de ces électeurs ?

Si j’évoque le Brésil, ce n’est pas seulement à cause de ces évènements récents et leur lien avec le thème de la présentation des trois de mes camarades de classe à la HEG le vendredi 19 octobre dernier (« Information – données »). En fait, tout a commencé avec une petite phrase tirée du livre « Information: a very short introduction » de Luciano Floridi abordée lors de ce séminaire : « No records, no history ».

Je ne sais plus où je l’ai vu, mais je me souviens encore de cette ancienne carte d’Amérique du sud dans laquelle n’était dessinée que la côte est du continent. La côte ouest ? Elle était probablement inconnue au dessinateur de la carte, qui a tout de même fait un effort de montrer tout ce qu’il savait de l’intérieur du pays. Dans ma naïveté j’ai oublié que l’histoire du Brésil commence avec sa découverte par les Portugais en 1500 (ou plus précisément le 22 avril 1500, quand Pedro Alvares Cabral a accosté dans la région de Porto Seguro à Bahia).

C’est ainsi que commence, si l’on veut, l’histoire brésilienne. Ceux qui y habitaient n’ont pas utilisé l’écriture comme moyen de transmission, ou du moins il n’en reste plus rien. Ayant grandi dans un pays où on peut découvrir facilement des écrits qui datent d’il y a 2000 ans, cela me paraissait pour le moins curieux. Néanmoins, c’est le même Luciano Floridi qui nous rappelle dans un autre article qu’il existe toujours des tribus vivant dans l’Amazonie d’une façon « préhistorique », à savoir, sans recourir à des moyens technologiques modernes d’information et de communication.

Pourtant, le manque des éléments écrits ne veut pas dire forcément que l’information est complètement absente en ce qui concerne la période d’avant 1500. Dans son livre « 1499: O Brasil Antes de Cabral » (1499 : Le Brésil avant Cabral), le journaliste Reinaldo José Lopes (qui écrit entre autres à la Folha de S. Paulo) décrit des trouvailles archéologiques qui indiquent l’existence d’une civilisation pré-brésilienne importante. En prélevant l’ADN de certains squelettes ou plantes, on peut apprendre de manière différente sur le peuple qui y habitait. On peut alors parler des documents par attribution à la Jean Meyriat : les objets qui deviennent des documents presque malgré eux en raison de l’information qu’ils comportent. Other records, other history ?

Qu’il s’agisse du « silence » pré-Cabral ou du « bruit » post-Bolsonaro, ma collègue Amélie Courtin l’a bien résumé lors du séminaire : « Histoire et science de l’information sont synonymes ; l’un n’existe pas sans l’autre. »

Bibliographie

CEVEY, Matthieu, COURTIN Amélie, PERRITAZ Alex, TURBERG Lucie, 2018. SCHNEIDER, René, PELLETIER, Elise. M3C2 Séminaires, aula HEG, 19 octobre 2018 [en ligne]. [Consulté le 11 novembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://prezi.com/p/u9tevnj46lnw/seminaire-information-donnees/?utm_content=2003&refcode=email00selligent000v0&utm_medium=email&utm_source=prezi&utm_campaign=16803456

FLORIDI, Luciano, 2010. The information revolution. In : Information, A very short introduction. New-York : Oxford University Press. 130 p. ISBN 9780199551378

FLORIDI, Luciano, 2012. Hyperhistory and the Philosophy of Information Policies. In : Philosophy & Technology [en ligne]. Vol. 25 n° 2, pp. 129-131. [Consulté le 11 novembre 2018]. Disponible en ligne : https://www.researchgate.net/publication/235223196_Hyperhistory_and_the_Philosophy_of_Information_Policies

LOPES, Reinaldo José, 2017. 1499: O Brasil antes de Cabral vem aí!!! YouTube [en ligne]. 2018. [Consulté le 11 novembre 2018]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=Cgh7hG3DU40

MEYRIAT, Jean, 1981. Document, documentation, documentologie. Schéma et schématisation [en ligne]. 2e trimestre, no 14, p. 51-63. [Consulté le 11 novembre 2018]. Disponible à l’adresse : http://documentacademy.org/content/Meyriat-1981.pdf

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