L’infosphère, évolution ou révolution ?

Durant l’automne 2018, les étudiant-e-s en Master IS élaborent en petits groupes des séminaires de 90 minutes, dédiés à différentes thématiques en sciences de l’information, pour les présenter à leurs camarades, ainsi qu’aux professeur-e-s (méthode de la classe inversée / flipped classroom). Le premier de ces séminaires, le 19 octobre, avait pour titre « Informations – données » – probablement le sujet le plus généraliste que l’on puisse imaginer dans le domaine… Alex, Amélie et Matthieu en ont présenté différents aspects, allant de l’étymologie des mots jusqu’aux moyens pour éviter que nos appareils connectés deviennent identifiables par une empreinte unique (« browser fingerprint »), en passant par les futures compétences nécessaires chez les professionnel-le-s ID.

Les séminaires ont lieu dans l’aula de la HEG

Une partie très intéressante du séminaire était dédiée au premier chapitre du livre Information, A very short introduction par Luciano Floridi. Ce chercheur et professeur à l’Université d’Oxford s’intéresse particulièrement à la philosophie et à l’éthique de l’information. Il participe à des groupes de réflexion au niveau international (p.ex. au sujet du “Droit à l’oubli” sur Google) et est régulièrement interviewé dans les médias spécialisés ou grand public.

Le message de Luciano Floridi

Floridi dit notamment que l’usage de l’information évolue depuis le début de la sédentarisation des premiers humains : d’abord on enregistrait simplement des informations (p.ex. une liste de bétail sur un papyrus), puis on les communiquait (p.ex. la Bible de Gutenberg), et aujourd’hui toute notre société est construite autour de l’échange et de l’exploitation d’informations. Pendant plusieurs millénaires, cette évolution était plutôt lente et linéaire. Mais depuis les premiers ordinateurs, il y a eu une croissance exponentielle du volume des données traitées et stockées, et cela continue avec l’évolution technologique de plus en plus rapide.

D’après Floridi, nous sommes en permanence entourés par, et en interaction avec des informations : nous faisons partie de l’infosphère. Celle-ci englobe tout endroit ou occasion où des informations sont transmises : une bibliothèque, un discours, une émission de radio, un espace virtuel… En effet, selon Floridi, sans interaction, la donnée n’existe pas. Il parle par conséquent des inforgs (informational organisms), qui peuvent être des individus (humains ou non) ou des entités plus grandes : les familles, les entreprises, les gouvernements, ainsi que les bots, petits agents logiciels qui interviennent de manière plus ou moins autonome dans le web.

Il est vrai que les outils technologiques développés ces dernières années nous ont ouvert des possibilités quasi infinies de communication. Selon le contexte, c’est pratique, ludique, instructif… ou parfois inquiétant. Nous devons apprendre à maîtriser les outils et trouver des parades aux abus potentiels, parades éthiques, légales, éducatives, technologiques, etc. Floridi insiste donc sur l’importance de créer un fondement philosophique pour cette société d’information, afin de comprendre ses implications sur les humains, mais aussi sur l’environnement. De là devraient découler des normes éthiques, puis des lois et des règlements afin d’encadrer les technologies d’information et de communication (TIC), entre autres pour éviter la création d’un fossé numérique.

La quatrième révolution… ou pas ?!

En revanche, il est questionnable de qualifier l’avènement des TIC, comme Floridi le fait, comme “quatrième grande révolution” (nommée Turing revolution), la plaçant dans la lignée de Copernic, Darwin et Freud. Cette vision de quatre révolutions est d’ailleurs magnifiquement illustrée dans ce film d’animation, produit par la BBC dans le cadre de son émission “A history of ideas”.

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En effet, le concept de changement de paradigme scientifique a été introduit dès 1962 par l’Américain Thomas S. Kuhn dans son ouvrage “La structure des révolutions scientifiques” : un domaine scientifique donné se trouve dans un état de “science normale” tant que tous les acteurs adhèrent au même point de vue. Mais avec le temps, des anomalies (éléments non compatibles) sont découvertes. Lorsqu’elles deviennent trop nombreuses, la théorie jusqu’alors acceptée par la majorité, est rejetée au profit d’une nouvelle théorie scientifique.

Mais cette définition ne s’applique pas à ce que nous sommes en train de vivre avec la société d’information. Nous vivons une évolution, certes rapide – mais ce n’est pas une révolution. Les interactions et l’échange d’informations ont toujours joué un rôle prépondérant dans les sociétés humaines. L’homme est un animal social, comme disait déjà Aristote. Sa capacité à communiquer et à collaborer a toujours été l’un des moteurs de l’évolution de l’espèce humaine.

Couverture de la revue "Pour la science" et du livre de Kuhn
La science, vulgarisée

Une évolution constante

Des défis technologiques, organisationnels et conceptuels nous attendent. Même si nous nous considérons comme digital natives, nous avons encore beaucoup à apprendre sur les interactions entre informations, société et technologies. L’infosphère continuera à évoluer et des nouveaux types d’inforgs verront le jour. En tant que professionnel-le-s de l’information, nous sommes parties prenantes de ce processus. Intéressons-nous aussi aux implications philosophiques pour répondre au mieux aux besoins de la société d’information !

Bibliographie

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FLORIDI, Luciano, 2010. The information revolution. In : Information, A very short introduction. New York : Oxford University Press, pp. 3-18. ISBN 978-0-19-955137-8

FLORIDI, Luciano, 2018. Luciano Floridi [en ligne]. [Consulté le 12 novembre 2018]. Disponible à l’adresse  : http://www.philosophyofinformation.net

LICHTSTEINER, Benno, 2015. Sollen Massenmedien stets “neutral” sein? NZZ [en ligne]. [Consulté le 12 novembre 2018]. Disponible à l’adresse  : https://www.nzz.ch/feuilleton/sollen-massenmedien-stets-neutral-sein-1.18591932

KUHN, Thomas S., 1962. The structure of scientific revolutions. Chicago : University of Chicago Press. International Encyclopedia of Unified Science, 2. [Sans ISBN]

LALAND, Kevin, 2018. La culture, moteur de l’évolution humaine. Pour la science [en ligne]. [Consulté le 12 novembre 2018]. Disponible à l’adresse  : https://www.pourlascience.fr/sd/anthropologie/la-culture-moteur-de-levolution-humaine-15015.php [accès par abonnement]

NGUYEN, Tuan C., 2018. The Early History of Communication. ThoughtCo.com [en ligne]. Dernière modification de la page le 30 septembre 2017. [Consulté le 12 novembre 2018]. Disponible à l’adresse  : https://www.thoughtco.com/early-history-of-communication-4067897

WARBURTON, Nigel, 2015. The Fourth Revolution [enregistrement vidéo]. BBC Radio 4, A History of Ideas [en ligne]. 28 janvier 2015. [Consulté le 12 novembre 2018]. Disponible à l’adresse  : https://www.bbc.co.uk/programmes/p02hvcjm

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