Par Oumaima Bouazzaoui et Irina Sokolova
Aujourd’hui on entend de plus en plus souvent parler du design thinking (DT), mais peu nombreux sont ceux qui maîtrisent réellement ce concept. Est-ce une méthode complexe, coûteuse et difficile à mettre en place? Ou bien une tendance à la mode? Peut-on appliquer les principes du DT en bibliothèque? A travers notre projet de recherche nous tentons d’explorer cette méthode collaborative innovante et les opportunités qu’elle offre aux bibliothèques.
Le Design Thinking, késako?
Tim Brown, CEO de l’entreprise de design IDEO, a popularisé le DT et l’a défini comme étant « une discipline qui utilise la sensibilité, les outils et méthodes des designers pour permettre à des équipes interdisciplinaires d’innover en mettant en correspondance attentes des utilisateurs, faisabilité technologique et viabilité économique ». (PREVOST, 2016)
“La pensée design” permet de résoudre des problèmes en se basant sur une approche créative par opposition à l’approche analytique. Le DT nous offre un processus centré sur l’humain, basé sur les capacités et les compétences intrinsèques de chacun d’entre nous. Celles-ci ne sont souvent pas prises en compte dans les méthodes habituelles de résolution des problèmes dans les organisations. Il s’agit de l’intuition, de la capacité à définir des modèles visuels et à construire des idées fonctionnelles pouvant être exprimées par des moyens autres que des mots ou des symboles.
Quels sont les phases et les outils du DT?
Même si le DT est un processus clairement défini, il est possible de ne réaliser que certaines phases de son cycle, revenir au début ou au milieu, si nécessaire. Voici les phases possibles du DT d’après Interaction Design Foundation:
L’ensemble des étapes du DT n’est pas forcément séquentiel: un ordre spécifique pour l’application de chaque étape n’existe pas. Elles peuvent se dérouler en parallèle et être répétées de manière itérative. En tant que telles, ces étapes doivent être traitées comme des modes indépendants contribuant à un projet. Néanmoins, la plupart des projets commencent par la phase d’empathie. (MORTENSEN , 2019)
Pourquoi utiliser le DT en bibliothèque?
Il est indéniable qu’aujourd’hui les bibliothèques du monde occidental sont en difficulté. La Grande-Bretagne a fermé des centaines de bibliothèques depuis 2010, a réduit le nombre d’heures d’ouverture et de travail des autres et a remplacé de nombreux bibliothécaires par de simples bénévoles (BBC investigation, 2016). L’uberisation de la société et de l’économie a poussé de nombreuses administrations à se poser la question suivante: pourquoi payer pour la maintenance des locaux, du personnel et des ouvrages physiques alors que les utilisateurs peuvent avoir les ressources de toute une bibliothèque sur une simple tablette?
C’est un combat pour leur survie que mènent les bibliothèques aujourd’hui, et personne ne peut en prédire l’issue. Pour faire face à ce dilemme et garantir leur existence à long terme, les bibliothèques cherchent leur salut dans l’innovation et dans le dépassement de leur mandat originel (le traitement et la conservation des biens matériels). Elles doivent offrir une panoplie de services et de programmes adéquats et parfaitement adaptés aux besoins changeants des utilisateurs. La bibliothèque publique de Toronto en est un excellent exemple car son équipe de service designers a mis en place des services qui facilitent l’accès et l’utilisation de technologies de pointe que l’on ne trouve habituellement que dans des espaces spécialisés: imprimantes 3D, imprimantes de livre de poche, kits et espaces pour la création de robots, studio de podcasting etc. (BESNER, 2018)
Une telle offre n’est pas anodine et se base sur une étude approfondie des attentes des utilisateurs: c’est l’essence même du DT.
Le DT est un outil parfait qui aide les bibliothèques à combiner une approche innovante et humaine à la fois. C’est par l’association de ces deux éléments que les bibliothèques pérenniseront leur avenir en attirant à elles plus d’usagers.
Notre projet de recherche et la perspective suisse pour le DT en bibliothèque:
Notre objectif est tout d’abord d’examiner en profondeur les approches les plus innovantes et prometteuses adoptées par les bibliothèques suisses, et plus précisément de Suisse romande. Dans un second temps, nous analyserons si les bibliothèques étudiées ont fait appel aux méthodes du DT pour réagencer leur espace (design, organisation et architecture de la bibliothèque) ou repositionner leurs services et programmes pour en augmenter l’attractivité.
Bien que nous n’en soyons qu’au début de notre projet de recherche, il nous apparaît que choisir le DT n’est plus une option, mais une nécessité pour toutes les bibliothèques qui veulent être en phase avec leur temps. ll est impératif d’innover à la fois au niveau organisationnel et managérial et de repenser les services et les processus de travail. Grâce au DT et à ses méthodes, les bibliothèques suisses peuvent adopter une nouvelle stratégie qui, partant du Brainstorming, devenu une technique courante de résolution de problèmes, en passant par le Bodystorming, débouchera sur le Librarystorming, indispensable pour la survie des bibliothèques de demain.
Bibliographie :
ANON., 2016. Libraries lose a quarter of staff as hundreds close. In: [en ligne]. 29 mars 2016. [Consulté le 26 juin 2019]. Disponible à l’adresse : https://www.bbc.com/news/uk-england-35707956
BESNER, Linda, 2018. Risotto, robotics and virtual reality: how Canada created the world’s best libraries. In: The Guardian[en ligne]. 15 juin 2018. [Consulté le 26 juin 2019]. Disponible à l’adresse: https://www.theguardian.com/cities/2018/jun/15/risotto-robotics-and-virtual-reality-how-canada-created-the-worlds-best-libraries
BEUDON, Nicolas, 2017. Le design thinking: l’utilisateur au coeur de l’innovation. In: I2DInformation, Données & Documents[en ligne]. 1 avril 2017. [Consulté le 24 juin 2019]. Disponible à l’adresse: https://www.cairn.info/revue-i2d-information-donnees-et-documents-2017-1-page-28.htm
IDEO, 2014. Le design thinking en bibliothèque. Un kit pratique pour la conception de projets centrés sur les usagers. BEUDON, Nicolas, 2016 (dir. trad.). 1ère édition française. ISBN: 978-2-9555530-0-8. [En ligne]. Disponible à l’adresse: http://lrf-blog.com/wp-content/uploads/2016/01/DTEB-Guide-methodologique-2016.pdf
MORTENSEN, Ditte, 2016. Stage 1 in the Design Thinking Process: Empathise with Your Users. In: The Interaction Design Foundation[en ligne]. 29 mars 2016. [Consulté le 26 juin 2019]. Disponible à l’adresse: https://www.interaction-design.org/literature/article/stage-1-in-the-design-thinking-process-empathise-with-your-users
PREVOST, Anne-Sophie, 2016. Manager ses projets et son organisation avec le design thinking. Liège, Edipro. ISBN 978-2-87496-324-7
SUE WILANSKY, Laura, 2017. Five lessons for libraries looking to innovate in the 21st Century-Knight Foundation. In: [en ligne]. 31 juillet 2017. [Consulté le 26 juin 2019]. Disponible à l’adresse: https://knightfoundation.org/articles/five-lessons-for-libraries-looking-to-innovate-in-the-21st-century
ANDRE
Je suis totalement convaincu par le DT en bibliothèque. Par contre réduire les difficultés des bibliothécaires au seul exemple britannique et aux accès numériques des livres me semble un peu trop rapide. Je ne serai pas aussi catégorique sur les vertus du DT et sur le fait que ce soit la seul approche possible. A vous lire, point de salut pour les bibliothèques sans DT
Oumaima Bouazzaoui
Notre intention n’était pas de limiter l’ensemble des difficultés auxquelles les bibliothèques font face actuellement à un ou deux exemples. Malheureusement, nous étions limitées par un nombre précis de caractères à ne pas dépasser. C’est pourquoi nous avons choisi des exemples bien réels, mais plus ou moins extrêmes. Notre objectif était non pas de dramatiser les choses, mais de sensibiliser les lecteurs aux problèmes que les bibliothèques rencontrent aujourd’hui et nous avons choisi de traiter le sujet par le prisme du DT qui est le sujet de notre projet de recherche. Certes, le DT n’est pas le seul moyen qui existe pour revitaliser les bibliothèques, mais nous voyons un grand potentiel dans cette méthode permettant de créer des bibliothèques où l’innovation et l’excellence se côtoient.