Le knowledge management à la japonaise : Ikujiro Nonaka et le modèle SECI

Le Japon est connu et reconnu comme l’un des leaders mondiaux en matière d’innovation et de technologie. Et ce n’est sans doute pas un hasard ! La culture de l’entreprise est extrêmement ancrée dans la société japonaise : on fait encore toute sa carrière professionnelle dans une seule et même organisation et, selon l’OCDE, près de 22% des japonais passeraient 50 heures ou plus par semaine au travail. A cette semaine déjà chargée s’ajoute la coutume du nomikai, c’est-à-dire les soirées afterwork en compagnie du patron et des collègues, auxquelles il est de bon ton de participer. La communication – et donc la transmission d’informations et de connaissances – bien que ritualisée au sein de l’entreprise et plus relâchée lors des nomikai, est ainsi au cœur de l’entreprise japonaise.

 

(source : https://bit.ly/2FpfsCR)

 

La théorie du knowledge management, ou gestion des connaissances, doit beaucoup à un homme en particulier : Ikujiro Nonaka, né à Tokyo en 1935. Mr Knowledge, comme il a été surnommé par The Economist, a en effet développé l’un des modèles les plus cités concernant la gestion et de la création des connaissances en entreprise. Nonaka cherchait à créer une théorie formelle qui expliciterait les raisons de la performance des entreprises japonaises.

 

Ikujiro Nonaka (source : https://bit.ly/2AGNlLw)

 

Sa théorie a tout d’abord reposé sur le modèle SECI (Nonaka, 1991) avant d’être enrichie au fil du temps par d’autres concepts et théories. Ce billet reviendra principalement sur le modèle SECI, avant d’évoquer certaines des critiques émises à son encontre.

Le modèle SECI – Cadre conceptuel

Dans The Knowledge Creating Company (1995), Nonaka et Takeuchi définissent le cadre conceptuel qui entoure le modèle SECI. Ce dernier s’articule autour de deux plans : le plan épistémologique et le plan ontologique.

Sur le plan épistémologique ils distinguent les connaissances tacites des connaissances explicites. Pour Nonaka et Takeuchi, la connaissance tacite serait la source fondamentale de la compétitivité des entreprises japonaises (Lièvre, 2016).

Connaissance explicite

Connaissance tacite
S’exprime sous la forme d’un langage (énoncés grammaticaux, expressions mathématiques, spécifications techniques) ; peut s’exprimer sous forme de mots ou de nombres S’exprime difficilement en langage formel (intuitions, visions, instinct, pressentiments)
Se transmet facilement et de façon formelle Se transmet difficilement de façon formelle
Connaissance objective Connaissance subjective (expériences et croyances personnelles, projets, système de valeurs)
Ancrée dans un contexte local
Rationnelle, séquentielle, digitale (théorie) Simultanée (ici et maintenant), analogue (pratique)
Préoccupation essentielle de l’Occident Préoccupation essentielle de l’Orient

Sur le plan ontologique, les connaissances peuvent se placer sur différents niveaux :

  • Individuel;
  • Collectif (groupe);
  • Organisationnel (organisation);
  • Inter-organisationnel (entres organisations).

 

Les étapes du processus SECI

Le modèle SECI a été créé dans le but de théoriser formellement les divers processus de création, conversion et transmission des connaissances qui prenaient place dans les organisations japonaises. Le modèle comprend quatre étapes distinctes successives et profondément liées entre elles :

  1. La socialisation : partage et création de connaissances tacites entre individus, par l’expérience directe (par exemple, un apprenti va acquérir des connaissances par l’observation d’un expert);
  2. L’extériorisation : conversion des connaissances tacites en un langage commun (explicite), partagé au sein d’un groupe (conceptualisation des connaissances tacites, création d’une culture commune);
  3. La combinaison : les connaissances du groupe sont structurées formellement (codifiées) à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation (hypothèses, prototypes, modèles);
  4. L’intériorisation : apprentissage et acquisitions de nouvelles connaissances tacites par les individus de l’organisation, à travers l’expérience pratiques des connaissances codifiées, qui forment les bases de nouvelles routines de socialisation.

Ce modèle a été représenté sous la forme d’une spirale. Puisque le modèle fonctionne selon un cycle et qu’il est dynamique, il est sans fin et se met à jour continuellement.

 

(source : https://bit.ly/2D2SRJW)

Les conditions requises

Cependant, pour que le modèle SECI fonctionne, il faut que certaines conditions soient réunies au sein de l’organisation :

  1. Intention organisationnelle claire : les aspirations et les buts de l’entreprise en termes de gestion et de création des connaissances doivent être clairs, concrétisés formellement et opérationnalisés dans la stratégie d’entreprise ;
  2. L’autonomie des individus : les employés doivent pouvoir disposer d’une certaine autonomie (initiative) afin de diffuser des idées qui deviendront, par la suite, des connaissances organisationnelles ;
  3. Le chaos créatif : remise en cause des prémisses organisationnels via la ruptures des routines et habitudes ; sorte de chaos intentionnel qui permet de créer de nouvelles connaissances organisationnelles ;
  4. La redondance : l’organisation doit accepter le fait que le développement des connaissances ira au-delà de ses besoins immédiats ;
  5. La variété requise : il doit exister une certaine cohérence entre la complexité de l’organisation et celle de son environnement.

 

Critiques

  • Selon Gourlay, il manque des preuves empiriques (pratiques) et conceptuelles pour prouver le fonctionnement du modèle SECI dans la réalité. Il souligne également des contradictions qui relèvent sans doute de divergences fondamentales dans le mode de pensée occidental et oriental, notamment à propos de la définition du mot “connaissance” et de la distinction entre connaissance tacite et explicite, qui pour lui restent flous.
  • En pratique, il est peu probable qu’une seule et même entreprise respecte à la lettre toutes les conditions et tous les processus et concepts présentés dans la théorie de Nonaka. En revanche, les organisations adaptent ces concepts à leur réalité.
  • Le modèle est ancré principalement dans un contexte : la société japonaise. Il est donc difficile à transposer aux organisations occidentales.
(source : https://bit.ly/2RHVj0K)

 

Bibliographie

ANON., 2016. La création de connaissances: la spirale des connaissances – I. Nonaka, H. Takeuchi. SI & Management.fr [en ligne]. 18 avril 2016. [Consulté le 09 janvier 2019]. Disponible à l’adresse : http://www.sietmanagement.fr/modele-de-creation-de-connaissances-la-spirale-des-connaissances-i-nonaka-h-takeuchi/.
GIERSZEWSKA, Grażyna, 2012. The Japanese Model of Knowledge Management. In : Foundations of Management. 1 juin 2012. Vol. 4, n° 1, p. 7‑16. DOI 10.2478/fman-2013-0001.
GOURLAY, Stephen, 2006. Conceptualizing Knowledge Creation: A Critique of Nonaka’s Theory. In : Journal of Management Studies. novembre 2006. Vol. 43, n° 7, p. 1415‑1436. DOI 10.1111/j.1467-6486.2006.00637.x.
LIÈVRE, Pascal, 2016. Nonaka : la voie japonaise en matière de management des connaissances. AGeCSO.com [en ligne]. [Consulté le 15.12.2018]. Disponible à l’adresse : https://www.agecso.com/wp/bourbakem/bourbakem10/
MCLEAN, Laird D., 2004. A Review and Critique of Nonaka and Takeucchi’s Theory of Organizational Knowledge Creation. In : Proceedings of the Fifth UFHED/AHRD Ireland Conference. 2004. p. 10.
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