Le DMP, un Serment de Bureaucrate ?

Extrait du frontispice de “Corporis Humani Disquisito Anatomica” de Nathaniel Highmore (1651)

Par Jonathan Donzallaz et Cynthia A. Germond

DMP. Trois lettres d’apparence anodine, mais désormais capitales pour les chercheurs en quête de financement public. Depuis octobre 2017, toutes les requêtes présentées au Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) doivent en effet être accompagnées d’un Data Management Plan (DMP) si elles entendent toucher quelques miettes du milliard de francs distribué chaque année par le FNS. La raison ? L’ère de la Data Science coïncidant avec celle de l’Open Science, il s’agit de s’assurer que les données seront gérées de manière optimale. Dans cette optique, le DMP intègre des questions relatives à la collecte, au stockage, à la préservation ou encore au partage des données et englobe notamment les enjeux éthiques et légaux de ces traitements.

Derrière ces bonnes intentions, le DMP peut toutefois passer pour une formalité administrative un peu vaine. Si « science sans conscience n’est que ruine de l’âme », les chercheurs n’ont pas attendu le DMP pour se préoccuper d’éthique scientifique, et on peut douter que ce dernier fasse trembler la minorité moins scrupuleuse. Cette exigence nouvelle ne trahirait-elle pas un manque de confiance envers le monde de la recherche ? En outre, s’il est de facto rendu nécessaire par le FNS, le DMP est-il bien utile ou ne constitue-t-il pas une sorte de « Serment de Bureaucrate » ?

Apprivoiser le DMP

Notre équipe a pu en faire l’expérience ce printemps. En effet, dans le cadre du projet de recherche effectué au cours du Master en Sciences de l’Information, nous avons amorcé une étude sur les stratégies Open Access dans le paysage académique suisse, dans le but de fournir un panel de recommandations à la HES-SO pour l’implémentation de sa propre stratégie en matière d’Open Science. Dans ce cadre, la réalisation d’un DMP faisait partie des exigences formelles à respecter.

Bilan de l’exercice ? Rien de tel que de mettre les mains dans les rouages pour se faire une idée du fameux DMP ! Passé le cap de la découverte du document, le chercheur est vite amené à répondre à des questions très concrètes – et, en premier lieu, à se les poser si cela n’avait pas encore été le cas.

En ce qui nous concerne, une partie de nos données sera issue d’informations blanches voire grises, ce qui ne pose que peu de problèmes. Cependant, une autre partie des données nécessaires à notre projet sera générée par nos soins, notamment à la suite d’entretiens semi-structurés. Régler la question de la sécurité de ces données avant de les générer n’est certainement pas un mal.

Entre souplesse et rigidité : tout un art !

Qu’on se le dise : l’exercice se révèle rébarbatif pour un scientifique pressé d’en découdre avec sa recherche. Toutefois, dans la mesure où un DMP est désormais exigé par la plupart des agences de financement, la question qui taraude le chercheur est moins « à quoi bon ? » que « comment faire ? ». A ce sujet, nous avons pu constater que de nombreuses institutions proposent différents supports. En Suisse romande, les pages dédiées du DLCM, de l’EPFL ou de l’Université de Lausanne, par exemple, constituent de bons points de départs.

En outre, la formalité ne se révèle pas si… formaliste. Certes, la liste des questions auxquelles répondre pour obtenir un financement du FNS est standardisée. Cependant, deux caractéristiques du DMP allègent cette apparente rigidité. Premièrement, celui-ci est défini comme un document évolutif, voué à être mis à jour en cours de projet (Rosolen et al. 2018). Deuxièmement, il est entendu que le contenu concret du DMP varie selon les disciplines, comme en témoigne ce petit catalogue de DMP commentés.

C’est là tout le paradoxe de la démarche : proposer une procédure unique pour tous les chercheurs, à la fois assez souple pour intégrer les particularités de chacun, mais suffisamment structurée pour pouvoir être comparée à d’autres et validée par les organes compétents. Une ambivalence qu’on retrouve dans le camp des sceptiques, qui dénoncent tantôt le caractère trop ordonné du DMP, tantôt son manque de structure (Metcalf 2015).

Longtemps cantonné à des disciplines spécifiques (Smale et al. 2018), le DMP a ensuite dû passer par une phase de standardisation en passe d’être plutôt réussie. C’est en tout cas notre sentiment au moment de mettre le point final à notre premier DMP, qui nous a permis d’anticiper un certain nombre de problématiques en amont de notre recherche. Le développement de DMP “next-generation” se poursuit par ailleurs, afin de répondre, notamment, à la demande croissante d’interopérabilité (Simms et Jones 2017 ; Miksa et al. 2019).

 

Figure 1 : Un enjeu clé des futurs DMP : gérer les interactions des différentes parties prenantes (Miksa et al. 2019)

Une transparence légitime

Demeure l’une de nos questions : exiger un DMP ne témoigne-t-il pas d’une érosion de la confiance envers les chercheurs ? Sans répondre à cette question digne d’une plus large réflexion, on peut retourner l’interrogation : n’est-il pas légitime que le chercheur rende des comptes à une agence de financement avant que celle-ci ne lui distribue de l’argent public ?

A ce propos, on est aussi en droit d’attendre que le chercheur rende des comptes après son financement, par exemple en mettant librement à disposition ses publications … Tiens, au fait, où en est-on au niveau des stratégies Open Access dans le paysage académique suisse ? Réponses dans quelques mois, au terme de notre projet de recherche !

Bibliographie

METCALF, Jacob, 2015. Data Management Plan: A Background Report [en ligne]. S.l. Council for Big Data, Ethics, and Society. [Consulté le 21 juin 2019]. Disponible à l’adresse : https://bdes.datasociety.net/council-output/data-management-plan-a-background-report/

MIKSA, Tomasz, SIMMS, Stephanie, MIETCHEN, Daniel et JONES, Sarah, 2019. Ten principles for machine-actionable data management plans. In : PLOS Computational Biology [en ligne]. 28 mars 2019. Vol. 15, n° 3. [Consulté le 22 juin 2019]. DOI 10.1371/journal.pcbi.1006750. Disponible à l’adresse : https://journals.plos.org/ploscompbiol/article?id=10.1371/journal.pcbi.1006750

ROSOLEN, Serge-Georges, HUGOT, Jean-Pierre, VEILLEROT, Frédéric et PLUCHET, Amandine, 2018. Être chercheur au 21ème siècle dans un environnement numérique. In : Bulletin de l’Académie Vétérinaire de France. 2018. Vol. 171, n° 1, p. 42‑54. Disponible à l’adresse : http://hdl.handle.net/2042/68225

SIMMS, Stephanie et JONES, Sarah, 2017. Next-Generation Data Management Plans: Global, Machine-Actionable, FAIR. In : International Journal of Digital Curation. 2017. Vol. 12, n° 1, p. 36‑45. DOI 10.2218/ijdc.v12i1.513. Disponible à l’adresse : http://www.ijdc.net/article/view/12.1.36

SMALE, Nicholas, UNSWORTH, Kathryn, DENYER, Gareth et BARR, Daniel, 2018. The History, Advocacy and Efficacy of Data Management Plans. In : bioRxiv [en ligne]. 17 octobre 2018. [Consulté le 21 juin 2019]. DOI 10.1101/443499. Disponible à l’adresse : https://www.biorxiv.org/content/10.1101/443499v1

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