Lors d’une présentation, au détour d’une diapositive, il arrive parfois de croiser une curieuse combinaison : source et Wikipédia. Certes, cette mention est principalement usitée pour indiquer la provenance d’une image, mais elle traduit deux réalités. Premièrement, que le fonctionnement et la segmentation des projets Wikimedia restent obscurs pour un large public : en effet, les documents multimédias sont dans la majorité des cas hébergés sur Wikimedia Commons et non pas directement sur Wikipédia. Secondement, que la page Wikipédia ayant fait usage de l’image, sans doute en rapport avec le sujet présenté, a été consultée et jugée suffisamment pertinente pour en réutiliser une des images de présentation. C’est ce second point que j’aimerai approfondir au cours de ce billet.
Il n’est plus nécessaire aujourd’hui de présenter Wikipédia, une encyclopédie collaborative en ligne : existant depuis plus de 20 ans, elle occupe le podium des sites les plus visités au monde depuis plusieurs années. Les controverses initiales sur son manque de fiabilité, sans être totalement éteintes, ont été largement rejetées (Giles 2005). Pourtant, Wikipédia souffre encore de cette réputation et est pratiquement bannie du monde académique : quel étudiant n’a pas entendu ses professeurs le mettre en garde contre son utilisation pour un travail à rendre ? De fait, ceux-ci ont si bien réussi que la mention de Wikipédia en contexte universitaire ne manque pas de faire hausser les sourcils ; pire, on devient rapidement méfiant sur la fiabilité même de l’information. Et c’est tant mieux !
Information literacy
Dans une démarche académique, une approche critique du contenu d’une page Wikipédia est un des nombreux reflets de l’information literacy. Forgé en 1974 par P. G. Zurkowski (Zurkowski 1974), ce concept est révélateur de l’explosion informationnelle de notre société et de nos besoins à s’y adapter. Pour autant, la définition de l’information literacy a connu de nombreuses fluctuations ; les difficultés à traduire ce terme en français illustrent d’ailleurs une distance culturelle entre le monde anglophone et francophone (Lehmans 2019).
Pour un public anglo-saxon, l’information literacy est surtout affaire de compétences ; ainsi, la Déclaration de Prague, en 2003, définit le concept comme « la reconnaissance de ses besoins d’information et les capacités d’identifier, de trouver, d’évaluer et d’organiser l’information – ainsi que de la créer, de l’utiliser et de la communiquer efficacement en vue de traiter des questions ou des problèmes qui se posent » (Thompson 2003, traduction P. Bernhard). Pour le monde francophone au contraire, le concept évoque plutôt un ensemble de connaissances : « la culture de l’information reconnaît à l’information – vue sous ses différentes déclinaisons d’activité, support, relation, contenu, etc., le statut de métacompétence, englobant la réflexion, la pensée critique, la communication efficace, la résolution de problèmes, la capacité créative et la sociabilité, en vue de permettre à l’individu d’édifier sa capacité d’adaptation et de résilience, dans des environnements turbulents et à l’aide de technologies évolutives » (Liquète 2019).
Dans un cas comme dans l’autre, les chercheurs sont univoques : c’est par l’éducation que toute compétence ou connaissance de l’information doit s’inculquer. Cela est d’autant plus critique pour une population jeune et plus vulnérable à la désinformation.
Et Wikipédia, dans tout ça ?
Wikipédia est de facto une porte d’entrée sur de nombreux sujets pour les élèves et les étudiants : accessibles en quelques clics sur Internet, ses pages d’ailleurs souvent en tête des requêtes sur les moteurs de recherche, l’encyclopédie en ligne présente un ratio coût-bénéfice inégalé pour toutes les personnes recherchant une information. Élèves et étudiants en font un large usage, tant en contexte scolaire qu’au dehors. Une étude note que leur âge influence deux facteurs : plus il augmente, plus l’usage de Wikipédia s’accroît, tout comme, paradoxalement, leur méfiance sur la qualité des informations qu’on peut y trouver, mais uniquement si cela concerne une tâche à accomplir en milieu scolaire. Cette méfiance limitée à un contexte est principalement expliquée par l’influence souvent négative de la figure d’autorité que sont leurs enseignants (Mothe, Sahut 2018).
Consciente de cela, la Wikimedia Foundation, l’organisation à but non lucratif hébergeant entre autres Wikipédia, a développé un programme intitulé Reading Wikipedia in the Classroom : constitué de trois modules couvrant l’accès, l’évaluation et la création d’information, il s’intègre dans le cadre du plan d’Éducation aux médias et à l’information porté par l’UNESCO (UNESCO 2022). Le but du programme est de développer la confiance et l’usage de Wikipédia chez les enseignants, afin qu’ils puissent capitaliser sur l’usage fait de Wikipédia par leurs élèves pour leur enseigner les bases de l’information literacy. À terme, tant enseignants qu’élèves développent les connaissances nécessaires pour appréhender de manière critique une information présente dans une page Wikipédia et pour pouvoir contribuer en suivant les règles et exigences de l’encyclopédie en ligne, notamment en manière de sources.
Wikipédia n’est toutefois qu’une petite partie de l’iceberg et peut-être la moins dangereuse : il est à souhaiter que cet enseignement de l’information literacy soit durable et qu’il puisse être appliqué par les élèves à tous types de médias.
Bibliographie
GILES, Jim, 2005. Internet encyclopaedias go head to head. Nature. 1 décembre 2005. Vol. 438, no. 7070, pp. 900‑901. DOI 10.1038/438900a.
LEHMANS, Anne, 2019. La culture de l’information : ruptures et invariants épistémologiques. In: LIQUÈTE, Vincent (éd.), Cultures de l’information. [en ligne]. Paris: CNRS Éditions. pp. 31‑51. Les essentiels d’Hermès. [Consulté le 6 novembre 2022]. ISBN 978-2-271-12208-7. Disponible à l’adresse: http://books.openedition.org/editionscnrs/20092container-title: Cultures de l’information
LIQUÈTE, Vincent (éd.), 2019. Glossaire. In: , Cultures de l’information. [en ligne]. Paris: CNRS Éditions. pp. 181‑197. Les essentiels d’Hermès. [Consulté le 9 novembre 2022]. ISBN 978-2-271-12208-7. Disponible à l’adresse: http://books.openedition.org/editionscnrs/20143container-title: Cultures de l’information
MOTHE, Josiane et SAHUT, Gilles, 2018. How trust in Wikipedia evolves: a survey of students aged 11 to 25. . 2018. pp. 29.
THOMPSON, Spenser, 2003. Information Literacy Meeting of Experts: Prague, the Czech Republic, September 20-23, 2003. [en ligne]. National Commission on Libraries and Information Science. [Consulté le 6 novembre 2022]. Disponible à l’adresse: https://purl.fdlp.gov/GPO/gpo120388Accession Number: GOVPUB-Y3_L61-84d902a1ed6f0b160ddee6c62ca2a5f7source: DGPOY 3.L 61:2 IN 3/8, Y 3.L 61:2 IN 3/8
UNESCO, 2022. À propos de l’Éducation aux médias et à l’information | UNESCO. [en ligne]. 4 avril 2022. [Consulté le 9 novembre 2022]. Disponible à l’adresse: https://www.unesco.org/fr/communication-information/media-information-literacy/about
ZURKOWSKI, Paul G., 1974. The Information Service Environment Relationships and Priorities. Related Paper No. 5. [en ligne]. [Consulté le 5 novembre 2022]. Disponible à l’adresse: https://eric.ed.gov/?id=ED100391ERIC Number: ED100391
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