L’analyse des références bibliographiques pour mieux connaître le comportement informationnel des étudiants : quelle utilité ?

Par Marie MERMINOD, Diana PABIANCZYK-BIFRARE et Yoon Kyung KIM

Dans notre premier billet de blog, nous avons abordé le thème de l’observation, une des deux méthodes employées dans notre projet de recherche sur le comportement informationnel des étudiant.e.s de la HES-SO. Dans ce billet, nous revenons sur notre seconde méthode, l’analyse des bibliographies des travaux de Bachelor, et en présentons quelques résultats.

Contexte

Les références bibliographiques sont des sources secondaires contenant des éléments descriptifs et des points d’accès aux documents primaires. Elles peuvent servir de matériau de base pour des études aux objectifs variés : analyses thématiques (Ouellet 1992; Benveniste 2018; Yasukawa, Yamazaki 2020), mesures de production de documents, ou veille. On constate un intérêt grandissant pour les données bibliographiques dans le domaine des sciences sociales qui s’interrogent sur le comportement des chercheurs (Milard 2013).
Les différentes catégories de données repérables dans une bibliographie fournissent en effet des informations précieuses sur les pratiques informationnelles de son auteur. Les bibliographies des mémoires de Bachelor nous renseignent par exemple aussi sur la culture informationnelle des filières. Et les conclusions ne sont pas toujours rassurantes…

Procédures

Nous avons choisi d’étudier les bibliographies des travaux de Bachelor (TB) de 3 filières de la HES-SO Genève : Soins infirmiers (HEdS), Travail social (HETS) et Economie d’entreprise (HEG). En effet, ces 3 filières exigent des TB d’ampleur comparable, impliquant l’utilisation de littérature scientifique et spécialisée. En même temps, les 3 filières évoluent dans des écoles différentes, avec un encadrement différent en matière de recherche documentaire, ce qui permet d’envisager une comparaison intéressante.

Nous avons constitué un corpus composé de TB réalisés en 2019 pour les filières Soins infirmiers (n=35), Travail social (n=70), et Economie d’entreprise (n = 26). Ensuite, nous avons sélectionné 7 TB dans chacune des filières, avec des bibliographies de taille et de facture différentes, afin de pouvoir tester notre grille d’analyse sur un maximum de cas possibles.
Nous avons développé une grille d’analyse des bibliographies permettant d’extraire des informations pertinentes pour nos questions de recherche : nombre de références, types de sources citées, conformité au format bibliographique exigé, nombre de liens URL, types de sites consultés (académique, grand public), nombre de liens URL menant à un document en accès libre vs en accès limité (nécessitant par exemple des identifiants étudiants). Puis, nous avons codé au moyen de cette grille les 21 TB sélectionnés.

Résultas

Les résultats des analyses ont confirmé la pertinence de cette méthode. Les 3 profils de filières étudiées se dessinent clairement sur les graphiques (ci-dessous).

Ainsi, nous pouvons constater que les articles scientifiques sont la source principale d’information pour la filière Soins infirmiers (45 %), suivis des documents institutionnels et des livres. Dans cette filière, presque la moitié des documents numériques proviennent de ressources académiques. Un quart sont à accès limité, signe que les étudiants utilisent les outils de la bibliothèque. Nos séances d’observations nous ont éclairé sur le contexte spécifique à cette filière : les futurs soignants préparent leurs TB en forme de revue de littérature scientifique et bénéficient d’une formation obligatoire poussée sur la recherche d’information.

Pour les étudiants en Travail social, les résultats sont différents. Ils privilégient les livres (31%), suivis des articles scientifiques et des documents institutionnels. Ils utilisent des canaux assez diversifiés. Les documents papier constituent la moitié de leurs supports.

De coté de l’Économie d’entreprise, l’information utilisée pour la rédaction des TB provient majoritairement de sites Internet grand public (28 %), de livres et d’article de presse, mais très peu d’articles scientifiques (moins de 3%). Interpellant ! Pour cette filière nous avons eu accès uniquement aux TB publiés en ligne sur ReroDoc, ayant reçu une note égale ou supérieure à 5. Nous pouvons en déduire que l’absence de sources académiques est généralisée dans cette filière.

La forme générale des bibliographies reflète une certaine maladresse dans les pratiques informationnelles des étudiants. Elle est rarement conforme aux normes et souvent peu cohérente : style et polices pas homogènes, champs manquants, confusion dans la typologie des sources. Nous avons par exemple retrouvé des articles de presse dans la catégorie « articles scientifiques ». Sans parler des fautes d’orthographe et autres coquilles (répétitions, erreurs de mise en page), qui montrent qu’un outil comme Zotero est peu utilisé.
Nous pouvons en déduire que les bibliographies ne sont pas soumises à une vérification et/ou ne comptent pas comme élément important pour la note finale. Laissées telles quelles dans les bibliothèques ou en lignes, elles témoignent d’une certaine immaturité informationnelle des étudiants, et par extension, de leurs écoles.

Conclusion

Ces résultats indiquent qu’une vraie réflexion est à mener sur l’encadrement fourni par les filières en matière de recherche d’information et gestion des références bibliographiques auprès des étudiant.e.s de Bachelor. Notre méthode met bien cela en lumière et mériterait d’être appliquée sur de plus vastes échantillons afin de mieux mesurer l’ampleur de ce problème. Elle pourrait aussi être utilisée comme un indicateur des impacts d’éventuelles mesures mises en œuvre pour développer ces compétences.

Mais à quel niveau mettre en place ces mesures ? D’après nos observations, les bibliothécaires sont déjà bien conscients de cette réalité et fournissent services, soutien et formation aux étudiants, dans la mesure où on les sollicite. Il nous semble que c’est donc surtout auprès des enseignants et responsable de filières qu’il faudrait augmenter les efforts. Peut-être en leur rappelant qu’il en va de la qualité académique des travaux de la filière, mais aussi de son image de sérieux et de professionnalisme.

Bibliographie

BENVENISTE, Claire, 2018. La place des inégalités sociales d’apprentissage comme objet et cadre d’analyse dans les mémoires de master. Questions Vives. Recherches en éducation [en ligne]. 21 décembre 2018. No. N° 30. [Consulté le 2 décembre 2021]. DOI 10.4000/questionsvives.3164. Disponible à l’adresse : https://journals.openedition.org/questionsvives/3164

MILARD, Béatrice, 2013. Quelles sociabilités derrière les références bibliographiques ? Citations et relations sociales. Socio-logos. Revue de l’association française de sociologie [en ligne]. 1 février 2013. No. 8. [Consulté le 2 décembre 2021]. DOI 10.4000/socio-logos.2802. Disponible à l’adresse : https://journals.openedition.org/socio-logos/2802

OUELLET, Marcel, 1992. L’analyse de références bibliographiques assistée par ordinateur. Documentation et bibliothèques. 1992. Vol. 38, no. 2, p. 103‑109. DOI 10.7202/1028615ar.

YASUKAWA, Michiko et YAMAZAKI, Koichi, 2020. Categorizing Bibliographic Data for Detection of Transition in Academic Subjects. In: 2020 9th International Congress on Advanced Applied Informatics (IIAI-AAI). septembre 2020. p. 842‑844.

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